Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 2, 1908.djvu/34

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nombreux projectiles. — La théorie de l’ondulation a eu pour inventeurs Hooke et Huyghens, a été développée par Fresnel, a reçu de Maxwell sa forme électromagnétique. Selon Rosenberger, Newton demeure partisan de l’émission, et c’est là l’opinion courante. Je crois au contraire que l’éther joue dans l’optique de Newton un rôle important. Il n’y a pas une réponse simple au dilemme : émission ou ondulation. Il faut, si l’on veut se rendre compte de l’attitude de Newton, tenir compte de l’évolution de sa pensée et distinguer plusieurs périodes. Dans une première période, il est un partisan pur et simple de l’émission. Avant le calcul des fluxions et ses travaux de mécanique céleste, il n’a que des préoccupations d’ordre technique et expérimental : perfectionner l’art de la taille des verres et le polissage des miroirs. Avec ses expériences sur le prisme, il est encore sur un terrain purement expérimental : ces expériences sont indépendantes de toute hypothèse. Dans une deuxième période (polémique avec Hooke), il se rapproche des théories ondulatoires. Newton a fait de fortes concessions, il faut le reconnaître, aux théories de Hooke. Mais c’est à la suite de ses travaux personnels qu’il a été amené à introduire, en mécanique céleste et par suite en optique, l’éther. Dans une dernière période, à partir de 1690, il revient aux théories de l’émission, sans rejeter la théorie de l’éther. Il tâche de concilier les deux théories, tâche singulièrement difficile, surtout vu les polémiques de l’époque. Il soutient que la théorie de l’éther et la théorie de l’émission ont leur rôle sur des points différents. Entre ces théories, il existe un lien. Mais ce n’est que le progrès expérimental qui permettra plus tard de trouver ce lien.

M. Lévy-Brühl. Vos thèses donnent un excellent exemple. Vous avez dit qu’il est difficile de faire de l’histoire de la philosophie sans faire de l’histoire des sciences. C’est ce qui me paraît l’évidence même. Pour la philosophie moderne, c’est une vérité qui saute aux yeux. Tous ceux qui ont pensé au xviiie siècle ont été préoccupés et obsédés par l’influence de Newton et les idées plus ou moins justement prêtées à Newton. C’est vrai pour Kant ; c’est vrai aussi pour Hume, qui se préoccupe cependant de choses morales. D’où l’utilité très grande de vos thèses. Vous aviez la préparation scientifique, l’accoutumance du savant, la pratique nécessaire pour traiter ce sujet et vous y êtes parvenu. La philosophie chez nous est à la faculté des lettres : c’est dans les conditions de la bourgeoisie française après 1815 qu’on trouverait la raison de ce fait. Mais on peut se demander si les études philosophiques ne devraient pas être rattachées à la faculté des sciences plutôt qu’à la faculté des lettres. Et peut-être serait-il désirable que l’étudiant en philosophie approfondît au moins un peu quelque science spéciale.

Passons à la critique. Je ne sais pas si vous êtes vraiment historien. Vous avez fait un effort pour reconstituer la pensée scientifique et méthodique de Newton. C’est un travail de reconstitution. Quand il s’agit d’histoire, votre vigueur de construction fait tort à l’objectivité requise pour l’histoire. Par exemple, vous réfutez Rosenberger en lui attribuant cette opinion que Newton rejette absolument l’éther : il dit au contraire qu’il rejette l’hypothèse d’un éther continu, mais qu’il est très favorable à celle d’un éther atomique. Dans votre grand ouvrage, vous avez à étudier les rapports de Newton et du cartésianisme. Newton, dites-vous, est positif, le cartésianisme est encore un esprit métaphysique. Mais il est un peu excessif de dire que Descartes cherchait une explication métaphysique des phénomènes. Il cherche une explication des phénomènes acceptable pour tous les esprits.

M. Bloch. Sur ce point, nous pouvons être d’accord. Chez Descartes, le rôle de la métaphysique est confiné au début de l’œuvre, et je ne soutiens pas qu’il revient sans cesse dans le courant de la science à ces principes. Mais cependant, pour l’axiome du plein, par exemple, il le démontre par un appel à la métaphysique et à la volonté de Dieu.

M. Lévy-Brühl. Si Descartes n’admet pas le vide, c’est à cause de sa définition de la matière, res extensa.







M. Bfoe/i. De sa définition de l’étendue ; notion aussi peu physique que possible, : résulte sa manière de considérer l’univers comme plein. M. Lëvy+BrùAl. Je viens au fond de votre thèse. Rosenbergër dit qu’il y a trois points sur lesquels la lumière définitive n’a pu être faite V la vraie méthode physique de Newton et l’usage de l’hypothèse ; 2° l’attitude de Newton en ce qui concerne la théorie de la lumière ; 3° la pensée vraie de Newton sur la nature delà’gravitation." Vous donnez une solution, solution unique pour tes trois problèmes. Newton ne’s’est pas prononcé entre la théorie de rémission et la théorie de l’ondulation. Il n’a pas fait de choix, en vertu de sa méthode physique et de sa théorie de l’hypothèse. Enfin, en vertu de la même méthode physique, il ne pouvait se poser