Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 2, 1908.djvu/35

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la question que pose sur la nature de la gravitation. Solution séduisante : Rosenberger Newton n’aurait pas voulu choisir et aurait eu une attitude de réserve que ni ses adversaires ni ses élèves ne pouvaient comprendre. Eh bien ! je n’ai lu qu’un peu Newton. De cette lecture, il m’est resté cette impression : c’est que s’il a fait ce que vous dites, il aurait dû en avoir conscience. Malheureusement son langage est confus, parfois semble contradictoire. Il y a plutôt chez lui une sorte d’oscillation, et cette oscillation peut être attribuée à des raisons diverses. À toute époque, il y a des affirmations dans les deux sens : émission et ondulation. Mais jamais il n’a dit nettement que s’il n’avait pas choisi, c’était parce que méthodiquement il ne croyait pas qu’il y eût lieu de choisir.

M. Bloch. La théorie de l’éther s’explique très bien par sa conception de l’hypothèse. Newton ne l’a pas laissé voir suffisamment. J’expliquerai son attitude par des considérations historiques. Newton n’a pas toujours été libre d’exprimer sa pensée comme il l’aurait voulu. S’il avait été un chercheur libre, il se serait servi à peu près indifféremment de l’une et de l’autre hypothèse. Mais Newton a été chef d’école et compromis par ses élèves plus encore que par sa pensée. Des hommes comme Keill, mécanistes convaincus, quoique défenseurs de Newton, l’ont défendu en se plaçant à leur propre point de vue. La crainte de polémiques stériles a pu amener Newton dans ses écrits à employer des expressions prudentes, réservées et qui peuvent nous paraître dissimulées.

M. Lévy-Brühl. Cette réponse contient sans doute une part de vérité. Mais, pourtant, pourquoi ne s’est-il pas exprimé plus nettement ?

M. Bloch. Ceux qui polémiquaient avec Newton étaient des physiciens, ayant leurs théories, représentant des hypothèses antagonistes. Dans un travail comme celui de Newton, ils négligeaient les faits nouveaux pour ne chercher que l’interprétation et la discuter. D’où la nécessité pour lui de tout faire afin de ne pas donner prise à ces diversions.

M. Lévy-Brühl. Ceci est rendu plus vraisemblable encore par son caractère. Extrêmement susceptible et irritable, peut-être neurasthénique, craignant les discussions oiseuses, ayant eu des débuts pénibles, il devait chercher à éviter tout sujet de dispute.

M. Delbos. Avant de vous poser quelques questions, je veux vous féliciter du choix de vos thèses : vos travaux nous seront des plus utiles. Je vous demanderai toutefois quelques éclaircissements. J’ai été étonné de voir que vous opposiez radicalement l’éther et la matière ordinaire. Il me semble que ces affirmations sont exagérées. Les physiciens conçoivent l’éther comme un corps semblable à un autre corps, par exemple à un liquide incompressible ou à un gaz compressible ou à un solide élastique. Aviez-vous le droit de parler d’éther immatériel ?

M. Bloch. Je n’entrerai pas dans l’examen des conceptions modernes de l’éther. Si nous cherchons l’origine de cette notion chez Newton, il faut trouver un caractère commun des concentrons diverses que nous appelons éther. L’absence d’attraction ne joue pas le rôle essentiel. La distinction entre l’éther et la matière ordinaire à l’époque de Newton est celle-ci la matière ordinaire suit les lois de la mécanique des corps solides, l’éther ne les suit pas, c’est un milieu qui transmet quelque chose.

M. Delbos. Le mot immatériel est peut-être exagéré s’il ne s’agit que de cette distinction. Je ne sais pas si vous avez toujours l’esprit historique autant qu’il serait désirable. Je ne sais pas si vous avez le droit de nier à la matière subtile de Descartes toute communauté avec l’éther.

M. Bloch. Je savais qu’en faisant cela j’allais à l’encontre de l’opinion de Bouillier. Si l’on demande une distinction nette entre la matière ordinaire et l’éther, dans un système comme celui de Newton, l’éther ne provient pas de la matière, et ne peut se transformer en matière. Chez Descartes, au contraire, il y a des lois de filiation entre la matière et la matière subtile.

M. Delbos. Il n’est pas nécessaire que toutes les formes de la matière puissent se transformer l’une en l’autre. Il reste malgré tout entre la matière ordinaire et l’éther certaines analyses. Autre point : les lois du pendule n’ont-elles pas été fixées par Huyghens dès 1673 ? Or vous dites que ce sont les travaux de Newton qui ont accompli ce progrès.

M. Bloch. Newton a fait ses expériences sur le pendule d’une manière indépendante. S’il y a eu quelque influence de Huyghens, cette influence a été indirecte, a eu lieu par les interprètes de Huyghens à la Société Royale de Londres.

M. Delbos. Vous me paraissez présenter d’une façon vague ou inexacte les rapports de Malebranche et de Newton. Vous paraissez ignorer que les Réflexions sur la lumière et les couleurs de Malebranche (1699) renferment une théorie importante de l’éther lumineux. — Malebranche admet que la lumière est formée par la