Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 2, 1908.djvu/39

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vient des systèmes logiques entre lesquels se fait ce choix.

M. Bloch. Les hypothèses heuristiques ne sont nullement rejetées par la science de Newton. L’ « Hypotheses non fingo » ne traduit donc pas la totalité de sa pensée. Newton adopte seulement des hypothèses conformes à sa manière de penser en physique. Dans les Principes, Newton ne feint pas d’hypothèses : il y a peut-être quelque excès, dites-vous, à attribuer cette réserve à des raisons polémiques. Je ne le crois pas : les discussions soulevées par la première rédaction du « de Motu » à l’Académie de Londres lui ont fait changer sa forme d’exposition. Plus tard, Newton avait moins à craindre de ses adversaires, vu la situation qu’il avait acquise. Aussi dans les Quæstiones opticæ, il se livre aux conjonctures hasardeuses, propose des hypothèses, en développe quelques-unes. Quel en est l’intérêt pour lui ? C’est que, chez lui, il peut y avoir de bonnes hypothèses, celles qui ne sont ni polémiques, ni dogmatiques, qui n’entravent pas le progrès de l’esprit. Ce sont les hypothèses suggestives et heuristiques.

M. Boutroux. Vous abandonnez l’ « Hypotheses non fingo », et, moi, je ne veux pas l’abandonner. L’ « Hypotheses non fingo » veut dire simplement : dans les trois livres, que vous venez de lire, il n’y a pas d’hypothèses.









M. Poincaré. Je vous ferai seulement quelques critiques de détail. Vous dites que Newton ne s’est pas préoccupé de la convergence des séries, parce qu’il considère des problèmes physiques, qui impliquent la convergence. Newton avait certainement d’autres raisons de croire à la convergence. M. Bloch. Newton n’avait rencontré qu’un développement divergent, et il avait vu que par un artifice de calcul on pouvait ramener ce développement à une série convergente. M. Poincaré. Pour la définition de’la masse, il y a une double définition chez Newton 1° par la quantité de matière ; 2° par la proportionnalité aux poids. Il y a là deux choses absolument différentes la conservation de la massé et la proportionnalité de la masse au poids sont deux lois absolument distinctes. Cette con fusion existe-t-elle réellement dans Newton

? En tout cas vous ne l’avez pas suffisamment 

éclaircie. Pour l’espace absolu, "Newton l’admet certainement. t.. M. Bloch. Mais il ne le croit pas utilisable. M. Poincaré. Il admettait que nous connaissions d’une façon absolue l’orientation des astres. —Quel est le sens du’principe de non-action à distance ? M. Bloch. Newton en a peu parlé et l’a beaucoup employé. H lui donnait sans doute une valeur universelle. M. Poincaré. C’est’une hypothèse que l’on peut faire. Mais n’est-ce pas chez lui seulement un moyen de polémique, employé pour se débarrasser de s"es adversaires

?

M. Bloch. Sa préférence pour les nonactions à distance repose surtout sur son tempérament de physicien. M..Poincaré. Newton considérait-il la loi comme approximative ? ou croyait-il la loi plus précise que l’expérience qui Tavai t mis sur la voie de la loi ? En ce qui concerne, par exemple, le principe d’action et de réaction ? M. Bloch. Il n’attachait peut-être pas à sa loi de gravitation une valeur absolue. Il a fait voir que sa loi s’applique à tout le monde solaire que nous connaissons et c’est en ce sens qu’il l’appelle universelle. M. Poincaré. Si je devais vous adresser une critique d’ensemble, je vous accuserais d’avoir trop modernisé Newton. > M. Séailïes. Pour votre méthode d’exposition, je suis surpris qu’avec votre esprit scientifique, vous ne vous astreigniez pas aux règles de logique par lesquelles l’historien se rapproche de l’objectivité. Pas de bibliographie. Vous ne citez presque jamais de textes. On sait très bien ce que vous pensez de Newton ; mais on n’est pas assez sùr de ce que Newton pensait lui— “ même ; Pour l’histoire des méthodes scientifiques, vous négligez un élément extrêmement important. Il vous a paru que Descartes commençait la science mod, erne Newton serait le premier qui aurait compris l’intérêt qu’il y a à sacrifier l’esprit systématique à l’esprit de précision. Ceci n’est pas exact. Léonard de Vinci a déjà dit que toute science commence avec l’expérience et s’achève avec la déduction mathématique. Galilée faitaussicommencer toute science avec l’expérience pour s’élever ensuite à la déduction. Enfin, sur la philosophie antique, vous n’êtes pas suffisamment renseigné. Vous faites honneur à Épicure et Lucrèce d’avoir eu cette idée qu’on pourrait admettre sur la même question plusieurs hypothèses mais ils n’ont jamais pris cette multiplicité au sens heuristique. Il s’agit seulement pour eux de montrer qu’on n’a pas besoin de recourir aux dieux, plusieurs explications naturelles étant possibles. Mais il y a la tradition d’Archimède qui est le véritable ancêtre des savants modernes, ceci à travers le moyen âge. Archimède pour Pascal encore