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Frédéric Rauh
(1861-1909).

En Frédéric Rauh la Revue de Métaphysique et de Morale perd un collaborateur de la première heure, un ami de tous les jours. Quand la Revue commença de paraître, Rauh venait de soutenir en Sorbonne, on n’a pas oublié avec quel éclat, sa thèse sur Le Fondement métaphysique de la morale : et c’est presque le titre de sou livre qui servit de mot d’ordre à ceux qui, très jeunes et très inexpérimentés, se proposaient alors d’entretenir vivant, de restaurer, de rajeunir l’esprit de la philosophie classique. Le fondateur de la Revue alla, jusqu’à Toulouse, l’entretenir de ses projets : Rauh adhéra, avec enthousiasme. Beaucoup voyaient les difficultés et les dangers de l’entreprise, nous recommandaient la réserve et la prudence : la foi agissante de Rauh fut pour nous un encouragement décisif. Seize années se sont écoulées depuis lors ; et, au cours de ces seize années, la pensée de Rauh s’était insensiblement transformée. Il le savait, il le disait. Comment ne pas sentir cependant l’unité profonde de sa vie ? comment ne pas reconnaître, à travers tous ses ouvrages, toujours la même inquiétude fondamentale, toujours la même préoccupation dominante ?

Il commence par aborder en métaphysicien le problème philosophique ; mais c’est pour renouveler la métaphysique traditionnelle par l’élimination de toutes les traces qu’elle contient de dogmatisme et d’ontologie. L’idéal ne sera plus conçu comme un être extérieur à la pensée, un objet, une « chose » : c’est une réalité vivante, agissante, que chacun de nous éprouve directement en soi-même. La métaphysique, si elle veut justifier la moralité, doit aboutir à poser « la supériorité du sentiment, de l’acte moral, de la pensée pratique, vivante et réalisée, sur la pensée spéculative et contemplative ».

Lorsqu’en 1899 Rauh publie son Traité De la méthode dans la psychologie des sentiments, il a cessé d’être un métaphysicien. Les idées mêmes qu’il développait neuf ans plus tôt l’ont amené à ce changement de méthode : si la philosophie a pour objet non pas un système de vérités éternelles, mais une activité intellectuelle qui incessamment cherche et crée ses propres lois, la vraie philosophie, n’est-ce pas la psychologie ? D’ailleurs le même esprit qui, en 1890, inspirait sa métaphysique, dirige maintenant ses recherches de psychologie. Il s’attaquait alors au dogmatisme ontologique : il discute maintenant le dogmatisme scientifique. Il veut que les psychologues s’affranchissent des habitudes d’esprit systématiques qu’ils doivent à leur éducation scolaire, s’inspirent des idées méthodologiques formulées, pour les sciences de la nature, par M. Poincaré, M. Bouasse, M. Duhem. Il trace le plan d’une psychologie des sentiments qui évite de simplifier à l’excès, s’accommode de la pluralité des hypothèses, et sache s’adapter à la complexité du réel.

La raison vivante est l’objet de la psychologie, et en particulier de cette branche de la psychologie qui étudie les sentiments. Mais la morale, c’est la raison vivante elle-même, se donnant ses règles et ses mobiles d’action. Le problème moral avait été, pour Rauh, à l’origine, un problème métaphysique ; il allait être pour lui désormais un problème de méthodologie positive : il restait toujours le problème essentiel, en comparaison duquel tous les autres problèmes ne comptent pas. D’ailleurs ses opinions morales et politiques se modifiaient profondément : il adhérait, avec une ardeur réfléchie, au socialisme scientifique et démocratique. Et cependant, malgré la diversité des solutions, l’esprit de sa philosophie morale restait le même. Toujours éloigné du dogmatisme, il ne pensait pas que la morale fût en mesure de fournir un code de règles faites pour servir dans tous les temps à tous les hommes, et se contentait de voir dans le socialisme la vérité morale d’aujourd’hui, celle qui permet à un honnête homme, dans les circonstances présentes, de fournir la plus grande somme d’héroïsme utile. Les sciences de la nature apparaissent de plus en plus, à ceux qui les pratiquent, comme un ensemble mouvant d’ « expériences », d’essais, de tâtonnements : elles participent de tous les risques de l’action. Pourquoi, demandait Rauh dans son Expérience morale, s’obstiner à vouloir constituer la morale sur le plan d’un dogmatisme scientifique qui n’a jamais eu d’existence en dehors de l’imagination des faiseurs de systèmes ? Et il












essayait de montrer en quel sens on pouvait assigner des régies à cet art moral, qui consiste à savoir être prudent où il faut, imprudent où il faut, toujours désintéressé et sincère avec soi-même. Toute cette méthodologie était trop abstraite encore au gré de Rauh. Son désir était de l’appliquer aux problèmes les plus concrets de la vie pratique. Dans ses cours de l’École Normale et de la Sorbonne, il traita successivement de l’idée de patrie, et de l’idée de justice. De