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de la mystique et sa fonction spirituelle.

Die Realisierung. Ein Beitrag zur Grundlegung der Realwissenschaften, par Oswald Külpe, vol. I, 1 vol. in-8 de vii-257 p., Leipzig, S. Hirzel, 1912. — Le livre que vient de publier M. O. Külpe est le premier d’une série de quatre volumes consacrés à l’étude du processus de position et de détermination de réalités qui se retrouve dans toutes les sciences de la réalité. Ce volume contient, avec une introduction générale, une étude sur la légitimité de la réalisation en général, c’est-à-dire de la position pure ex simple d’objets réels. Pour montrer la légitimité de ce procédé l’auteur réfute les objections de l’idéalisme objectif et du « conscientialisme » qui opposent, aux besoins de la connaissance empirique, des contenus de conscience et des objets idéaux. Dans le second volume l’auteur montrera comment la réalisation est possible dans les sciences de la réalité, c’est-à-dire quelles raisons et quels critères y conduisent. Dans le troisième volume M. Külpe discutera le phénoménalisme qui n’admet pas la détermination des réalités, la « réalisation spéciale », et montrera que la pensée est la fonction sans laquelle il n’y aurait pas de réalisation. Enfin dans le dernier volume seront exposés les divers critères et les diverses formes de la détermination de réalités.

Il semble bien, et il faut grandement en féliciter M. Külpe, qu’il ait eu surtout en vue les procédés effectivement suivis par les sciences du réel, et que toute cette grande enquête sur la réalisation doive être bien moins la discussion critique de systèmes philosophiques, que la théorie de ces sciences. Il en résulte que ce que M. Külpe rejette et combat dans le « conscientialisme » et l’idéalisme objectif, c’est l’extension injustifiée que ces doctrines donnent à leurs thèses, et la méconnaissance de la spécifité des fins et des méthodes scientifiques que ces doctrines supposent. L’intention de M. Külpe paraît donc être bien moins de réfuter et de détruire ces doctrines que de déterminer les limites au delà desquelles ces doctrines ne valent plus. Pour des objets différents des méthodes différentes sont reçues ; et M. Külpe est un réaliste trop éclairé pour se désintéresser des faits donnés dans la conscience ou des opérations des sciences idéales ; il acceptera le conscientialisme comme la théorie de la connaissance phénoménologique, et l’idéalisme objectif comme la théorie de la connaissance des objets idéaux ; seulement le réalisme a le même droit à être considéré comme l’unique théorie qui rende intelligible la connaissance que procurent les sciences du réel. Il en résulte encore que pour l’auteur la théorie de la connaissance prise dans son ensemble ne pourra et ne devra être ni « conscientialiste », ni idéaliste, ni réaliste.

Dans le système de M. Külpe la distinction entre concept et objet joue un rôle essentiel ; les objets sont pour lui quelque note d’essentiellement différent des concepts, et occupent dans la science une place à part. Le fondement de cette distinction capitale est la « loi de la valeur spécifique des prédications pour leurs domaines » (p. 18), loi d’après laquelle les objets « ne peuvent être spécifiquement déterminés que par les propriétés et les rapports qui appartiennent à leur propre sphère ; on ne peut déterminer le contenu d’un concept logique (par exemple espèce) au moyen de propriétés d’objets ; l’usage équivoque du langage ne doit pas faire oublier cette loi fondamentale : c’est par abus qu’en physique mathématique on parle des atomes et des molécules comme de concepts, de l’énergie comme d’un nombre. Les prétendus concepts des sciences de la réalité se rapportent à une classe particulière d’objets, les objets réels, et ne sont intelligibles que comme tels. Des concepts d’objets réels ne sont pensables qu’autant que l’on suppose et reconnaît des objets réels (p. 25). — Et M. Külpe remarque avec raison que l’idéalisme et l’apriorisme de la théorie de la connaissance dans les temps modernes reposent très souvent sur une sorte de préférence ou de préjugé sentimental en faveur de l’activité, de la spontanéité, de la souveraineté de l’esprit sur les choses (p. 39). S’il est beau de se figurer l’esprit maniant avec une suprême liberté des objets qu’il a produits lui-même, il n’est pas moins beau de le voir se fixer obstinément sur un objet différent de lui-même, se renoncer dans la recherche et dans l’étude de faits donnés, chercher à en pénétrer les secrets. Et c’est une assez haute ambition que celle qui remplissait les philosophes et les savants du xviie siècle, désireux de déchiffrer le livre de la nature et d’en découvrir le sens. — Il n’est pas douteux non plus que la tendance anti-réaliste ait, comme le note avec finesse M. Külpe, des rapports étroits avec les tendances anti-intellectualistes, pragmatistes et personnalistes où domine l’idée de la liberté de l’homme par rapport aux choses et de la vie personnelle : en faisant de l’homme la source à la fois et l’arbitre souverain des lois naturelles, il semble qu’on le mette au-dessus d’elles et qu’on lui laisse