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proposées n’a donné de résultats probants. Il est sûr, en premier lieu, que les raisons logiques ne sont pas valables. — Chacun est disposé à ordonner la série des dialogues de Platon d’après l’idée qu’il se fait de l’évolution de la philosophie platonicienne. — Mais c’est un cercle vicieux. Peut-on dire que tel dialogue est antérieur à tel autre dialogue, que le Timée par exemple est antérieur au Phèdre, parce que le Timée ne contient qu’une ébauche des théories qui sont développées dans le Phèdre ? Ébauche soit : mais pourquoi cette ébauche ne serait-elle pas tout aussi bien un résumé ? Tous les arguments de cette nature sont à deux tranchants.

Reste la méthode stylistique de Lutoslawski. Elle consiste essentiellement à comparer des choses qui ne sont pas comparables. Et si l’on allègue en sa faveur que les résultats qu’elle obtient coïncident parfaitement avec les résultats obtenus par d’autres méthodes, avouons du moins que cette concordance, d’ailleurs incomplète, n’a pas de quoi surprendre.

Il est vrai qu’on peut tirer des conclusions chronologiques de certaines allusions que contiennent les dialogues à des événements dont par ailleurs on connaît la date. Ainsi, on s’est autorisé de l’éloge d’Isocrate, du « jeune Isocrate » pour placer le Phèdre avant le Κατὰ σοφιστῶν d’Isocrate, puisque c’est le Κατὰ σοφιστῶν qui nous révèle la brouille de Platon et d’Isocrate. C’est incertain, j’en conviens. Mais je ne puis admettre que (comme l’affirme M. Robin pour placer à une date plus récente la composition de Phèdre), l’éloge d’Isocrate soit ironique. Pourquoi ironique ?

M. Robin. Je crois cependant que la concordance très exacte des termes du « Κατὰ σοφιστῶν » et des termes du Phèdre indique l’intention ironique de Platon.

M. Croiset. Cette concordance, c’est vous qui la créez. Vous placez d’un côté sur une fiche le mot d’Isocrate, et de l’autre côté, sur une autre fiche, le mot de Platon. Et vous dites « Voilà qui concorde ». Mais on ne doit pas morceler un texte de cette manière.

M. Robin. Soit ! Mais il y a (en tout cas) certains termes du Phèdre qui ont une intention ironique dans l’esprit de Platon. Voyez par exemple comme il parle du « bon naturel » d’Isocrate.

M. Croiset. Vraiment, je ne vois pas là d’ironie, Vous êtes plus ironique que Platon. Platon parle du « jeune » Isocrate. Pour pouvoir affirmer que ce passage est ironique, il faudrait savoir qu’à cette date Platon est brouillé avec Isocrate. Cette brouille ne nous est connue que par le Κατὰ σοφιστῶν. Quelle est la date de Κατὰ σοφιστῶν ? Je n’en sais rien du tout.

M. Robin. J’abandonnerai donc la critique externe. Mais voyez : cet éloge d’Isocrate est introduit d’une façon tout à fait inopinée et singulière.

M. Croiset. Je n’en suis pas frappé. D’ailleurs, dans le Phèdre, il y a aussi un éloge de Périclès, que Platon n’a pas toujours loué. Et cet éloge ne s’accorde-t-il pas très bien avec les flatteuses prédictions de Socrate sur le jeune Isocrate. Aussi bien quand Platon est ironique, il me semble qu’on s’en aperçoit. Je vous avouerai qu’ici, l’ironie, puisqu’ironie il y a, me paraît assurément très subtile. Enfin vous savez que la question des rapports d’Isocrate et de Platon est des plus obscures. Nous sommes ici dans le conjectural et dans l’incertain. Sans doute Platon et Isocrate ont été un moment brouillés. Mais Speusippe, neveu de Platon, a suivi les leçons d’Isocrate. J’ai cru devoir faire ces réserves. Mais je tiens à redire avec quel soin et quel talent la thèse est faite.

M. Delbos loue l’érudition solide et la parfaite probité de la thèse. Mais M. Robin n’a pas seulement les qualités d’un érudit. Il apporte réellement une interprétation assez neuve et fort intéressante de la théorie platonicienne de l’amour. Le malheur est que cette interprétation dépend étroitement des considérations chronologiques que l’auteur a développées. Et M. Delbos est obligé de faire sur cette chronologie certaines réserves.

Mais tout d’abord il regrette que M. Robin ait si étroitement limité son sujet. C’était assurément son droit. Il n’empêche qu’on eût aimé savoir comment le problème de l’amour s’est introduit dans la philosophie grecque et comment cette question était traitée dans l’école socratique.

Si nous envisageons maintenant le problème chronologique, je m’accorde avec M. Robin pour placer le Lysis avant le Phèdre et aussi, sans trop de difficultés, le Phèdre après le Banquet. Mais la question de la place respective du Phèdre et du Timée est délicate et la solution de M. Robin problématique.

M. Robin. Je ne saurais dire en effet quelle est la date exacte du Timée et quelle est la date du Phèdre. Mais on peut établir que le Timée est antérieur au Phèdre : c’est une impression, mais qui s’appuie sur des raisons sérieuses.

M. Delbos. Pourtant la doctrine des idées dans le Timée est plus développée que dans le Phèdre.

M. Robin. Oui, mais j’ai montré qu’il y