Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 3, 1908.djvu/19

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a des détails du Phèdre qui supposent le Timée, et la réciproque n’est pas vraie.

M. Delbos. Certainement il faut admettre que le Timée n’est pas loin du Phèdre : mais c’est tout ce qu’on peut dire. On peut affirmer que, quand Platon écrit le Phèdre, il est en état d’écrire le Timée. On ne peut dire que le Timée est écrit avant le Phèdre.

La doctrine de l’âme dans le Phèdre a un caractère mythique : elle est bien plus rationnelle dans le Timée, qui affirme l’immortalité de l’âme. D’ailleurs, pour éclaircir cette question, vous auriez pu recourir à un procédé que vous avez négligé. Il fallait comparer le 9e livre des Lois et le Phèdre au point de vue de la division des parties de l’âme. Vous voyez que je reconnais la complexité de la question. Il reste qu’il paraît fort étrange qu’après avoir exposé dans le Timée la doctrine des Idées sous une forme systématique, Platon soit revenu dans le Phèdre à une théorie indéterminée et mythique.

M. Robin. Je ne trouve pas que les théories du Phèdre soient indéterminées.

M. Delbos. C’est que vous les poussez dans le sens de votre thèse. Il y a là, je le crains, des interprétations un peu arbitraires. Je n’en méconnais pas l’intérêt, mais enfin quand vous dites l’amour est un démon, et l’âme une fonction démoniaque, c’est intéressant parce que vous réagissez ainsi contre une interprétation étroitement rationaliste du platonisme. Mais en faveur de cette thèse vous n’invoquez qu’un seul argument. Cette interprétation, dites-vous, est conforme à celle des néo-platoniciens. Mais Platon n’est pas responsable de ses disciples. Vous avez été entraîné par vos idées personnelles. Vous avez eu le désir de rejoindre votre première thèse à votre grande thèse.

M. Robin. Non ! j’ai fait mon travail sans savoir où j’allais et je me suis placé en toute bonne foi devant les textes de Platon.

M. Delbos. Sans aucun doute ! mais n’oubliez pas qu’à côté de la volonté ou du désir conscient, il y a les raisons subliminales.

M. Robin. Je sais bien le danger des suggestions inconscientes. Mais je crois pouvoir affirmer que je n’ai pas été vers la jonction de mes deux thèses.

M. Delbos. Mais non, vous n’y êtes pas allé, seulement vous y êtes arrivé. Je termine en rendant hommage à la rigueur, à l’intérêt, à l’honnêteté de votre travail.

M. Séailles. Je m’associe aux éloges de MM. Croiset et Delbos, et je suis heureux de pouvoir rappeler à M. Robin quel cas Brochard faisait de son talent. Il avait lu en manuscrit la grande thèse de M. Rolin et il en vantait les mérites. Je présenterai cependant à M. Rolin quelques observations. Et, d’abord, c’est sa méthode elle-même qui me paraît contestable. On appelle les méthodes de ce genre « méthodes scientifiques ». Mais ce qui justifie une méthode scientifique, c’est son succès. Or, s’il s’agit des recherches que M. Robin a entreprises, on voit que les résultats ne légitiment pas la méthode. Au reste, ce n’est pas ici une objection que je soulève : je vous fais part d’un scrupule. Ce n’est pas une objection, et c’en est une grosse. C’est une objection qui porte sur tout. C’est donc comme si elle ne portait sur rien.

M. Robin répond qu’à défaut de certitudes on aboutit à des probabilités.

M. Séailles regrette que ces probabilités ne soient pas plus convergentes. Du reste, M. Séailles pense comme M. Delbos que, quelle que soit la beauté et la généralité du Phèdre, on a l’impression que le Timée systématise et organise des notions qui dans le Phèdre sont mal débrouillées et confuses. Il est normal que la pensée mythique et enveloppée précède la pensée analytique et organisée.

M. Robin fait remarquer qu’on peut dire aussi bien qu’après avoir exposé des théories sous leur forme abstraite, Platon pour les répandre leur a donné une forme poétique.

M. Séailles. C’est bien vrai ; vous voyez donc qu’on ne sort pas de l’impasse. Vous voyez qu’en ces matières tout argument est à deux tranchants. Mais je ne veux pas insister plus longtemps sur ce point.

M. Séailles, après avoir demandé au candidat quelques renseignements sur la nature des démons platoniciens, regrette que les conclusions de l’auteur sur la nature de l’amour ne soient pas très déterminées. D’une part, M. Robin voit dans l’amour une fonction de l’intellectuel et d’autre part il en fait un enthousiasme. Vous semblez dire deux choses contraires. D’une part vous faites de l’amour une sorte de dialectique et d’autre part vous affirmez que l’amour est différent de la dialectique.

M. Robin. Platon dit que l’amour est un délire. C’est-à-dire que l’amour est une certaine émotion qui marche vers l’analyse, un moteur de l’intelligence qui la pousse à la dialectique. J’ai appelé la méthode de l’amour platonicien une sorte de dialectique empirique ascendante.