Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 3, 1908.djvu/20

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M. Séailles remercie le candidat de ses explications et lui renouvelle ses éloges.

M. Girard. Vous débutez par une analyse de Lysis, qui est consacré à l’étude de l’amitié. Vous étudiez ensuite le Banquet et le Phèdre consacrés à l’étude de l’amour. Vous n’expliquez pas si pour les Grecs l’amour et l’amitié sont une même chose.

M. Robin ne voit pas de différence entre l’amitié du Lysis et l’amour du Banquet : les questions posées par Platon dans le Lysis sont résolues par lui dans le Banquet et le Phèdre.

M. Girard. C’est donc que pour les Grecs il n’y avait pas de différence entre l’amour et l’amitié ?

M. Robin. C’est à peu près mon avis.

M. Girard. C’est bientôt dit, mais d’ailleurs vous vous enlevez le moyen de résoudre ce problème. Je ne crois pas à la légitimité d’une méthode qui étudie les idées à part de la vie, qui ne replace pas les idées grecques dans la vie grecque, mais qui les isole et pour ainsi dire les suspend. Il y a là des nuances extrêmement délicates, mais réelles. Le sentiment de l’amitié et le sentiment de l’amour empiètent l’un sur l’autre chez les Grecs. Ce n’est pas douteux. Il eût fallu le dire, et serrer la question de près. Mais pour y réussir, il fallait d’abord, avant de regarder les idées grecques, regarder la vie grecque. Je regrette que M. Robin ne l’ait pas fait. — M. Girard termine par l’éloge du candidat.

II. La théorie platonicienne des Idées et des Nombres d’après Aristote, étude historique et critique.

M. Robin. C’est un fait digne de remarque que les divers interprètes de la philosophie de Platon n’ont jamais pu se mettre d’accord. Les uns la tirent dans le sens de la pensée moderne ; d’autres s’efforcent d’y retrouver des étapes et entreprennent de reconstituer l’évolution du système. J’ai pensé, en présence de ces divergences, qu’il pourrait être intéressant et utile, après avoir lu Platon, de demander aux anciens sous quel jour ils l’ont vu. Sans doute ils ne l’ont pas toujours compris de la même manière, mais du moins ils ont pu l’étudier avec un esprit plus semblable au sien que le nôtre. C’est à Aristote que j’ai demandé une explication du platonisme. Comment Aristote a-t-il compris Platon ? Comment l’a-t-il critiqué ? Retrouve-t-on dans les théories aristotéliciennes des influences de la pensée de Platon, et lesquelles ? On voit quel vaste champ d’exploration était ouvert : j’ai essayé de traiter une des innombrables questions qui se posaient devant moi. En séparant la théorie des Idées et la théorie des Nombres, voici les principaux résultats auxquels je suis parvenu :

1o Au sujet des Idées, il résulte de l’étude d’Aristote que pour Platon les Idées sont bien à part (χωρισταί) ; encore imprégné de mythologie, il a été amené à séparer effectivement ses concepts des choses. La plupart des interprétations modernes sont donc à rejeter sur ce point.

2o Au sujet des Nombres, Aristote nous offre une doctrine des nombres idéaux parfaitement cohérente, doctrine qui se rattache à la période de l’enseignement oral de Platon. Ces nombres idéaux sont des substances ayant une existence à part, comme les idées.

Reste alors à savoir comment se concilient les Nombres et les Idées, et sur ce point trois solutions sont possibles : 1e les Nombres sont sur le même plan que les Idées ; mais cette concordance fait naître de nombreuses difficultés ; — 2e le Nombre est postérieur à l’Idée ; mais alors le Nombre idéal se rapproche fort du nombre mathématique ; — 3e les Nombres sont antérieurs aux Idées. Telle est la solution que j’ai adoptée. Les Nombres sont les modèles des Idées, ils sont les types des relations qui peuvent s’établir entre elles. L’Idée n’est pas quelque chose de simple ; sa simplicité est ordonnée et non pas absolue ; les Idées sont pluralité, mais elles peuvent former une unité, et deviennent ainsi les types de la constitution des Nombres. Quant aux nombres mathématiques, ils apparaissent comme intermédiaires entre la sphère idéale et la sphère sensible, et leur rôle consiste à introduire la quantité, dans le monde sensible.

Je reconnais en terminant que ma méthode fait appel à l’hypothèse ; mais il est difficile, pour ne pas dire impossible, d’exclure l’hypothèse en pareille matière, l’histoire de la philosophie étant faite d’interprétations.

M. Radier. Vous me permettrez d’abord, Monsieur, d’évoquer ici la mémoire de Victor Brochard. Ce maître vénéré se promettait d’être à cette place le jour où vous soutiendriez votre thèse, dont il faisait le plus grand cas. « La thèse de M. Robin », écrivait-il, « sera considérée par tous les juges compétents comme une contribution de premier ordre à l’histoire de la pensée grecque. » Je m’associe à ces éloges, et je considère que sur beaucoup de points votre travail est définitif.

Je viens maintenant aux critiques, et