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générale. Et ainsi, si la morale est, en fait, relative à notre manière de penser, elle a cependant une objectivité de droit.

Dans le chapitre ii, le devoir est présente comme ayant d’une part une origine sentimentale, de l’autre un développement rationnel. Originellement, l’impératif n’est rien de plus « qu’une violente propension à agir, accompagnée du sentiment d’une nécessité subie. Il prend un caractère moral si la propension à agir a sa source dans les sentiments sympathiques » (p. 50). — Subjectif en fait, le devoir acquiert, comme le bien, une objectivité de droit : en effet « nous projetons en autrui ce qui est en nous, et nous concevons les devoirs d’autrui sur le modèle des nôtres » (p. 53). Le devoir est donc un fait à la fois interne et externe : il n’est ni purement individuel, ni purement social. « Il suppose toujours un minimum de spontanéité » (p. 57). « Il possède ce double caractère d’intériorité et d’extériorité parce qu’il est l’expression, dans une conscience irréductible à toute autre, de la volonté d’une ou de plusieurs consciences radicalement distinctes de celle-ci » (p. 59). Dès lors il est facile de comprendre comment le devoir prend un développement rationnel ; tout sentiment moral s’exprime en effet dans une formule générale qui survit. « Ce caractère rationnel du devoir dérive de l’élément logique inclus dans l’idéal moral » (p. 61). L’auteur montre dans les théâtres de Corneille et de Hugo cette transformation de passion généreuse en maximes abstraites de conduite.

Chap.iii. — L’auteur découvre l’origine du sentiment de droit dans « le sentiment d’une attente, et d’une attente déçue » (p. 74). Il est donc étroitement lié à l’habitude et à la tendance : de là vient que le sentiment du droit étouffe si souvent celui du devoir. — Dès lors comment se fait-il que nous reconnaissions à l’État d’une part, et aux autres hommes d’autre part, des droits qui restreignent les nôtres ? C’est que l’attente rationnelle résultant de l’observation du réel se substitue peu à peu à l’attente irréfléchie issue du désir et de l’action. « Notre notion du droit s’élabore par le développement même de notre tendance à persévérer dans l’être. La nécessité où nous sommes de nous adapter à nos conditions d’existence nous fait accepter un ordre de choses qu’il nous est impossible de modifier. » En particulier, pour ce qui concerne le sentiment que nous prenons progressivement du droit d’autrui, ce sentiment résulte d’une intervention de l’imagination d’une part, que nous représente le plaisir ou la douleur que nous allons causer à autrui, et qui s’appuie sur la sympathie, et de l’intelligence, d’autre part, qui « envisageant les volontés d’un point de vue strictement objectif, confère par là même aux droits leur valeur et leur objectivité » (p. 95).

Chap. iv. — M. Joussain s’efforce ensuite de mettre en lumière le rôle des facteurs subjectifs, et en particulier de la sympathie dans la constitution de la sanction interne. « De là cette définition de la notion de responsabilité morale : « elle résulte du sentiment de l’attente (attente de la sympathie ou de l’antipathie, de l’éloge ou du blâme) qui procède de l’intention bonne ou mauvaise. D’une manière générale, est responsable celui qui accomplit délibérément une action avec la pleine connaissance des risques qu’elle entraîne : les conséquences de l’action, étant prévues, sont de droit » (p. 104).

Chap. v. — M. Joussain s’efforce de dégager, dans ce chapitre, la loi qui détermine, d’une manière générale, l’évolution de la morale, définie comme une « fonction de la société », comme « une force interne qui tend à écarter toute cause intérieure de désorganisation » (p. 111). Il rattache ainsi les observations psychologiques qui précèdent à une théorie générale de l’évolution des fonctions biologiques, dont le principe fondamental est que l’évolution tend vers l’affranchissement du mécanisme, la force sociale s’exerçant d’abord d’une manière purement automatique, puis se rationalisant progressivement, et devenant consciente et voulue. D’où, à mesure que la société évolue, et que l’individu progresse, une tendance croissante à l’individualisation de la conscience morale, qui s’explique par la nécessité croissante du discernement individuel à mesure que la vie sociale et individuelle se différencie et se complique. Idée intéressante et profonde, mais qui gagnerait à s’étayer sur une analyse historique plutôt que sur une théorie abstraite et vague de l’évolution des fonctions.

Conclusion. — Quoi qu’il en soit, c’est là que M. Joussain croit découvrir le fondement de la morale, c’est-à-dire dans la spontanéité du sentiment (égoïste ou abstraite), subissant peu à peu l’influence de l’intelligence, et s’éclairant par elle, ou autrement dit dans le conflit permanent du vouloir vivre avec la représentation : conflit qui n’a d’issue que dans le développement et la généralisation des sentiments sympathiques. L’ouvrage s’achève