Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 4, 1910.djvu/8

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luxe, — telles sont les conditions générales par lesquelles s’explique le poème de Voltaire.

Ces, théories, — c’est d’abord la tradition libertine qui remonte au xvie siècle à Gassendi, à Bernier, et dont Saint-Evremond a exposé les doctrines à l’usage des gens du monde. Ce sont ensuite les réflexions de Montesquieu, que l’exemple des Romains, démenti d’ailleurs par l’histoire d’autres peuples anciens, n’a pu convaincre des dangers sociaux que présentait le développement du luxe. — C’est en outre la critique de Bayle et surtout de Mandeville, amené à démontrer sous une forme vivante, bruyante et parfois cynique, que l’activité sociale, source de la richesse publique, repose en définitive sur les immoralités individuelles. (Or Voltaire — M. Morize établit ce point avec beaucoup d’ingéniosité — a fort vraisemblablement connu la Fable des Abeilles, étant à l’affût de tous les scandales.) — C’est enfin l’Essai politique de Melon (1734) qui fixa définitivement les idées économiques de l’auteur du Mondain en lui présentant sous une forme systématique la doctrine mercantile.

Ajoutons que cet excellent petit travail contient une édition critique avec commentaire du texte et de la défense du Mondain, et que le commentaire renferme la justification de nombreuses indications présentées dans le corps de l’ouvrage.

Montesquieu. Choix de Textes et Introduction, par Paul Archambault, avec Préface de H. Berthelemy, professeur à la faculté de droit de Paris. 1 vol. in-10 de 224 p., Paris, Michaud, s. d. — Cette publication de textes choisis de Montesquieu est précédée d’une très bonne étude sur sa vie et son œuvre. Dès ses premiers ouvrages « le fondateur de la Sociologie » a découvert la notion essentielle qui fonde ses conceptions politiques et philosophiques, à savoir que tout ce qui arrive dans le monde social « est l’effet d’une chaîne de causes infinies qui se multiplient et se combinent de siècle en siècle ». L’Esprit des Lois n’est à un certain point de vue que le développement de cette idée fondamentale. Laissant les lois religieuses, qui sont immuables, et les lois morales, qui reposent sur un droit naturel antérieur à toutes les législations, Montesquieu étudie successivement les lois positives dans leurs rapports avec la forme du gouvernement, puis — et c’est sans doute là sa plus grande originalité — dans leurs rapports avec le milieu physique et social. De cette analyse, M. Archambault croit pouvoir dégager l’idéal politique de Montesquieu, qu’il nous montre, malgré des réticences, des incertitudes et des obscurités, libéral, adversaire résolu de l’esclavage et des peines rigoureuses, partisan de la tolérance religieuse et d’un principe de justice en matière d’impôts.

Malgré la clarté de cette étude, on peut se demander si l’œuvre capitale de Montesquieu, et par suite les idées qu’il y expose, présente bien la systématisation que l’auteur nous paraît y voir. L’opinion contraire a été soutenue, non sans fondement.

Ajoutons que les textes choisis sont parmi les plus caractéristiques, encore que leur classification, qui répond au plan analytique de l’Introduction, puisse par suite être critiquée.

Les Pères de la Révolution, de Bayle à Condorcet, par Joseph Fabre. 1 vol. in-8 de 764 p., Paris, Félix Alcan, 1910. — M. Fabre pense que la Révolution de 1789 a été surtout l’œuvre des philosophes. « Donner une idée de cette philosophie vivante, faire la synthèse raisonnée des conceptions capitales de ses principaux représentants, mettre en relief le spiritualisme pratique de tant de penseurs qu’on prétend flétrir en les appelant matérialistes, esquisser enfin, en ses traits essentiels, la patrologie de la Révolution, tel est le but du présent ouvrage. »

C’est là tenter un gros effort de synthèse, qui rencontre actuellement, en raison même « de l’espèce d’ostracisme dont beaucoup de philosophes ont frappé les penseurs du xviiie siècle », des difficultés peut-être insurmontables. D’une part les monographies spéciales qui pourraient servir de base à un tel travail font dans bien des cas défaut ; d’autre part le mouvement philosophique à cette époque porte moins qu’au siècle précèdent, par exemple, la marque d’individualités puissantes, et l’étude des courants d’idées auxquels participent des auteurs parfois très secondaires serait sans doute plus féconde que des généralisations de ce genre, dont le principal mérite ne peut être que de rappeler des opinions courantes et des jugements traditionnels, qu’une enquête plus approfondie conduirait souvent à réviser.

Certes, on peut voir dans le mouvement philosophique français du xviiie siècle la continuation de la Réforme religieuse et philosophique du xvie. Mais pourquoi ne considérer parmi les précurseurs que Bayle, Locke, Pascal, Boisguillebert et Vauban ? Pourquoi négliger, pour ne citer que quelques noms au hasard, Hobbes, Mandeville, Fénelon, Fontenelle,