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cault sont dues à un scrupule de précision plutôt qu’à un désir d’atténuer. Des études pareilles à celles de M. d’Hauterive aident à mieux sentir quelle fut la variété et la diversité des courants de pensée, au cours de ce grand siècle dont, trop longtemps, nous nous sommes bornés à admirer, littérairement, l’orgueilleuse façade.

Fénelon. La Confrérie Secrète du Pur Amour, par Ludovic Navatel, 1 vol. in-18, de xvii-335 p., Paris, Émile-Paul, 1914. — Nous avions déjà au moins deux Fénelon. L’un qui vient de Saint-Sulpice : c’est le Fénelon révéré du clergé français. L’autre, qui vient des philosophes du xviiie siècle : c’est le Fénelon familier aux gens du monde. Le premier est un archevêque dévot, souriant, aimable, un saint François de Sales, persécuté par des prélats jansénistes et qui, condamné à regret par un pape qui l’aime, s’est soumis avec l’humilité d’un enfant. Le second est un philosophe humanitaire, victime du despotisme pour avoir aimé le peuple, détesté les abus, et prêché de bonne heure la tolérance. L’auteur nous en propose un troisième qui serait le plus vrai si nous voulons bien nous fier uniquement aux écrits et à la correspondance de l’archevêque de Cambrai : c’est un Fénelon intérieur et occulte, c’est le chef d’une petite confrérie mystique qui cultive avec ferveur dans ses disciples chéris l’oraison de quiétude et de l’amour pur. L’étude de son système de direction est particulièrement instructive en ce qui concerne le duc de Chevreuse, le marquis de Seignelay, la duchesse de Mortemart, Mme de Montberon, et surtout peut-être le duc de Bourgogne. Tous ces personnages constituent en fait, sinon en droit, une confrérie secrète dont Fénelon est le directeur et Mme Guyon la prophétesse. Comme Fénelon avait l’incroyable faiblesse de croire à la mission divine de cette femme, nous voyons tous ses dirigés s’incliner devant elle. Lui-même est travaillé par l’ambition de réformer et d’innover ; il imagine donc qu’avec l’aide de sa prophétesse il va faire fleurir une ère de renaissance religieuse dont il sera le messie. C’est pour la préparer que Fénelon se livre à un ardent prosélytisme en faveur du quiétisme et du parfait amour. À partir de ce moment il essaye de tout renouveler ; il fourre partout son système, dans ses livres, dans ses sermons, dans ses opuscules, dans ses écrits apologétiques. L’oraison de quiétude devient le pivot de sa direction spirituelle. Elle sert de méthode et d’idéal pour toutes les situations sociales : prince, homme politique, homme de guerre, femme du monde. Elle donne la solution de tous les problèmes et les remèdes à tous les défauts ; elle sert d’inspiration universelle à la religion, à la guerre, à la politique, à la vie de salon, aux affaires domestiques et aux sentiments de l’amitié. Cette propagande en faveur d’une telle panacée se fait secrètement mais avec un dur prosélytisme et une obstination aveugle ; et les âmes qui suivirent son austère direction se consumèrent en efforts dont on doit bien avouer qu’ils furent à peu près stériles.

Tel est le portrait qui nous est tracé de ce nouveau Fénelon. On voit immédiatement qu’au plaidoyer Pro Fenelone qui fut récemment composé ce petit livre oppose un réquisitoire contre Fénelon. Nous aurions préféré un livre sur Fénelon. On regrettera d’autant plus de ne pas le trouver ici que l’auteur était capable de nous le donner. Il a fort bien aperçu certains aspects caractéristiques de la direction fénelonienne. C’est un fait que la grâce semble, dans la pensée de Fénelon, directement communicable d’un sujet à un autre, et que la monition fraternelle acquiert ainsi dans le quiétisme la valeur d’une communication sacramentelle (p. 100). Il semble également exact que Fénelon ait cru que l’on peut se donner l’oraison de recueillement au moyen d’une méthode technique (p. 107). Mais ces observations justes sont noyées dans un flot de petites chicanes, de récriminations sans fondement et inlassablement ressassées. Nous retrouvons ici toute la terminologie familière aux théologiens pour invectiver les mauvaises doctrines, depuis l’esprit d’innovation jusqu’aux conceptions qui portent au front la flétrissure de l’erreur. Le style volontiers familier de M. Ludovic Navatel poursuit de son ironie ce Fénelon sectaire et étroit qu’il couvre abondamment de ses brocards. D’ailleurs toutes les fois que les dirigés de Fénelon sont en progrès nous apprenons que Fénelon n’y est pas pour grand’chose ; et lorsqu’ils piétinent sur place ou reculent, la faute en est généralement à leur confesseur. En réalité M. Navatel a été imprudent en parlant de questions qu’il ne comprend peut-être pas très bien. Les théologiens avertissent volontiers qu’il est dangereux de parler de théologie sans initiation suffisante ni grâces d’état ; il en est de même en ce qui concerne la mystique. Si l’auteur avait abordé son sujet avec la sympathie et le sérieux qu’il lui devait, peut-être aurait-il vu disparaître cette antinomie apparente qui le chagrine tant, entre