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l’amour pur que prêche Fénelon d’une part, et le sens pratique si méticuleux dont il fait preuve d’autre part dans la conduite de la vie. Et peut-être aurait-il enfin compris cette méthode de direction dont il a tant parlé. L’abandon à l’amour pur par l’oraison de quiétude doit être, dans la pensée de Fénelon, générateur d’action : toute sa mystique, comme toutes les grandes mystiques d’ailleurs, n’est qu’une propédeutique à l’action sociale. Lorsque la discipline mystique travaille sur des terrains ingrats, elle ne donne que peu de fruits ; lorsqu’elle travaille sur l’âme d’un saint Bernard, elle produit au contraire cette espèce d’hommes prodigieux qui ne se retranchent dans la contemplation que pour se jeter plus furieusement dans l’action et qui, selon les propres expressions de Fénelon, sont « de plus en plus petits sous la main de Dieu, mais grands aux yeux des hommes ». Nous craignons que le désir de critiquer n’ait conduit l’historien de Fénelon à méconnaître l’homme dont il parlait. Quelques compliments adressés en passant ne contre-balancent pas un livre hostile et injuste ; mais nous ne disons pas un livre inutile, puisqu’il peut préparer le terrain pour une étude objective de ce personnage si complexe, dont il est à souhaiter que l’on parle enfin sans admiration béate comme sans parti pris de dénigrement.

Kant et Aristote. Deuxième édition française de l’Objet de la Métaphysique selon Kant et selon Aristote, par Charles Sentroul. 1 vol. gr. in-8 de viii-343 p., Louvain, Institut supérieur de Philosophie et Paris, Alcan, 1913. Deuxième édition française du mémoire couronné au concours de la Kantgesellschaft en 1906 sous le titre Kants Begriff der Erkenntnis verglichen mit dem des Aristoteles. Malgré les changements de titre successifs que l’ouvrage a subis et les modifications apportées par l’auteur à son contenu, c’est le titre de la dissertation allemande qui résume encore le plus exactement ce que le lecteur y trouvera. Dans l’intention de l’auteur cette étude comparative sur Kant et Aristote ne constitue nullement une réfutation expresse et formelle du système kantien. Il s’agit d’un exposé, non d’une plaidoirie. Mais, et nous laissons à M. Charles Sentroul le soin d’accorder ces mots entre eux, et il s’agit en même temps d’un « exposé tendancieux » qui doit faire éclater en fin de compte la supériorité d’Aristote sur Kant. Les conclusions dernières vers lesquelles il tend sont que le système épistémologique de Kant se dissipe et tombe en ruines par le dualisme qui oppose, pour les heurter, respectivement le phénomène et le noumène, les mondes sensible et intelligible, les connaissances spéculatives et les assertions d’ordre pratique, — bref, la science et la métaphysique. Enlevant à la pénétration de la science pour ajouter à la certitude de la métaphysique. Kant a ruiné l’une et désaxé l’autre et enfin les a fait choir ensemble par l’effet d’une commune inconsistance. On peut soupçonner que seuls des exposés d’un genre un peu spécial peuvent conduire à de telles conclusions. L’auteur les a disposés de telle sorte que tous les postulats kantiens qu’il estime injustifiés, toutes les lacunes ou inconséquences qu’il découvre dans le système du philosophe apparaissent de la façon la plus nette. Cette méthode n’est pas sans inconvénients parce qu’elle se désintéresse trop évidemment des conciliations qui seraient parfois possibles ; et l’historien avait ici beau jeu puisqu’il pouvait s’appuyer sur les recherches de Vaihinger dont on connaît l’ardeur à découvrir dans le texte de Kant des difficultés qui ne s’y trouvent pas. Mais il faut ajouter que les exposés tendancieux de M. Charles Sentroul supposent une connaissance approfondie du kantisme, qu’ils n’en trahissent d’ailleurs pas l’esprit et qu’ils réussissent souvent à mettre en un relief vigoureux certains de ses caractères les plus authentiques. En face de la critique kantienne l’auteur dresse le réalisme dogmatiste d’Aristote ; ce nom désigne d’ailleurs en réalité la théorie de la connaissance que l’on peut actuellement extraire des œuvres d’Aristote interprétées par saint Thomas d’Aquin, et même par un Thomas d’Aquin qu’aurait revu le cardinal Mercier. C’est dire que nous sommes aux antipodes de l’histoire proprement dite : la comparaison entre Aristote et Kant devient une opposition entre le kantisme et le néothomisme le plus libre. L’auteur s’attache à faire saillir les difficultés que soulève l’adaequatio rei et intellectus, définition de la vérité qui ne se rencontre ni chez Aristote ni chez saint Thomas, et substitue à cette formule la définition suivante la vérité logique est la conformité du jugement avec la vérité ontologique. Il nous affirme d’ailleurs que c’est bien à la suite d’Aristote que la vérité doit être entendue ainsi. Cela est fort possible, mais tellement invérifiable que de telles discussions ne présentent aucun intérêt historique. Elles intéressent par contre le lecteur qui voudra se familiariser avec la critériologie néo-thomiste contemporaine sous sa forme la plus