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Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 4, 1914.djvu/18

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(p. 39) l’absence de contradiction interne est un critérium nécessaire, mais non pas suffisant, de vérité. L’origine du logicisme est d’ailleurs une conception erronée de l’impératif catégorique. L’erreur de Stammler, et la plus grave de toutes, est encore, d’après M. Frænkel, d’avoir exagéré, la valeur de la communauté (p. 42) et de n’avoir point vu que l’idée de communauté demande à être remplie avec d’autres valeurs qui seules permettent une comparaison des fins (p. 43). Enfin Stammler méconnaît absolument les valeurs esthétiques et sensibles (p. 44).

Est-ce à dire, continue notre auteur, que la théorie de Stammler soit absolument sans valeur ? Nullement. Il en faut retenir l’idée fondamentale d’une méthode qui, dégagée de tout empirisme, doit nous permettre d’apprécier la valeur des normes juridiques ; il en faut retenir la méthode consistant à découvrir, l’idéal social par l’analyse de nos jugements sur l’exactitude d’une règle de droit, ce qui est l’idée même de l’abstraction de Fries.

L’objet d’une philosophie, criticiste du droit doit être, au moyen de l’abstraction des jugements sur l’exactitude d’une règle de droit, de découvrir le jugement fondamental qui est à la base de tous les autres ; ce jugement fondamental doit alors être fondé au moyen de la déduction, c’est-à-dire ramené à la connaissance immédiate ; enfin il s’agit en partant de ce jugement démontré valable, de construire le système de la philosophie du droit (p. 48).

C’est le but qu’il y a cent ans J.-F. Fries s’était proposé : la dernière partie du travail de M. Frænkel (p. 50, 92) ; est consacrée à l’exposé de la philosophie du. droit de Fries. La conclusion de l’auteur est un cri de guerre contre « une philosophie du droit néohégélienne confuse » et « la philosophie esthétisante » du « relativisme sceptique qui renonce à une philosophie scientifique du droit pour recourir au fait du sentiment juridique » : la philosophie du droit fera, bien de revenir à Fries, dont la méthode est fondamentale pour tout travail ultérieur… La conclusion était prévue ; mais les remarques qui la préparent n’en gardent pas moins leur valeur et leur intérêt.

Essays on Truth and Reality, par F.-H. Bradley, 1 vol. in-8, de 48Q p. Oxford, Clarendon Press, 1914. — M. Bradley a réuni dans ces Essais des articles qu’il a fait paraître ces dernières, années dans le Mind : il y a ajouté un, article de la Philosophical Review, et quelques études inédites.

Ce qu’on trouve d’abord ici, c’est une définition de l’absolutisme, affirmation de la valeur à la fois absolue et relative de chacun des aspects de la vie, de la vérité et de l’erreur de chacune de nos idées. La méthode suivie est « une expérience directe idéale faite sur la réalité » par laquelle on reconstitue l’unité du fait et de la qualité. Le philosophe part de l’expérience immédiate pour aboutir à l’expérience absolue. L’expérience immédiate n’est pas le fait de conscience, la relation d’un sujet et d’un objet ; c’est une expérience, sans distinction où l’être et le connaître sont un et qui est pourtant infiniment diverse. Il y a derrière les termes et derrière les relations, derrière le moi et le monde, qui sont des abstractions, une masse indéfinie de chose sentie, qui n’est pas un objet et qui fait l’unité et la continuité de notre vie. Bien plus, entre l’objet et le sujet, il n’y a pas de relation ; il y a seulement une présence indescriptible et inexplicable de l’un devant l’autre. Il n’y a rien de réel que ce que je sens pourtant cette expérience immédiate est toujours transcendée ; mais elle contient ces relations qui d’un autre côté la transcendent, et elle les juge.

C’est ainsi que nous voyons la fausseté de tout jugement ; l’expérience immédiate nous montrera toujours derrière l’objet, terme du jugement, et derrière le sujet qui affirme des « au-delà » qui n’entrent pas dans le jugement ; de plus, le jugement brise l’unité de l’expérience immédiate. L’on ne pourra jamais transférer la certitude de l’expérience immédiate dans la sphère des jugements, et M. Bradley reprend ici en la transformant la critique hégélienne de la désignation.

Tout ce qui apparaît doit donc être affirmé de la réalité et, d’autre part, ne peut pas être affirmé d’elle. La réalité est donc infra-relationnelle d’abord, supra-relationnelle ensuite. Les relations sont la traduction nécessaire, mais contradictoire, de l’unité non-relationnelle.

Nous ne pouvons guère insister ici sur la conception de l’immanence inexplicable des centres finis dans l’absolu à laquelle. M. Bradley arrive. Ces centres sont différents de l’âme et du moi ; car ils n’ont pas d’avant et d’après ; et ils ne s’opposent pas à un objet les centres finis sont une expérience d’eux-mêmes et en même temps de leur contenu qui est l’univers, y compris Dieu. Tout existe en eux, — et ils n’existent qu’en tant qu’ils sont au delà d’eux-mêmes. L’apparence est précisément le fait que dans le fini est présent quelque chose qui entraîne le fini au delà de lui-même. La réalité