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contre tous, M. Hermann Cohen a su grouper autour de lui, par le prestige d’une pensée aussi vaste que profonde et d’une personnalité morale de premier ordre, des amitiés actives et fidèles auxquelles le soixante-dixième anniversaire de sa naissance a donné l’occasion de se manifester de la manière la plus touchante. Nous rendions compte récemment du volume d’excellentes dissertations dont les philosophes de l’école de Marbourg ont à ce propos fait hommage à leur maître. Aujourd’hui ce sont des savants hébraïsants et des membres éminents des communautés israélites qui ont réuni le fruit de leurs efforts pour faire honneur « à l’enthousiaste interprète des doctrines des prophètes, au défenseur des vérités éternelles du judaïsme ». Parmi les études groupées dans ce volume il en est un certain nombre qui constituent d’importantes contributions à l’histoire si intéressante et encore si mal connue dans le détail, de cette grande philosophie que fut la philosophie juive de la fin de l’antiquité et du moyen âge. M. Max Wiener étudie l’histoire de la notion de Révélation et montre que l’effort de la philosophie juive médiévale a été, en maintenant le principe d’une révélation divine, de rationaliser autant que possible le contenu de cette révélation. Lorsque les prophètes, qui se considéraient comme les confidents élus de Jhoh, annonçaient au nom de Dieu la parole de Dieu, la garantie que leurs avertissements étaient justes et salutaires consistait évidemment pour eux dans le fait qu’ils leur étaient inspirés par Dieu la révélation est pour eux un libre don de Dieu par lequel il manifeste son amour pour son peuple elle ne pose, pas plus que le miracle, de problème à la raison. Au moyen âge au contraire, la connaissance scientifique est née, et, pour la raison, la révélation est devenue quelque chose d’étrange et d’incompréhensible. La philosophie religieuse rationaliste qui commence avec Saadia a tendance à identifier la révélation avec les résultats de la réflexion scientifique mais en même temps elle reconnait la réalité de la révélation comme mode original de connaissance. L’ardeur rationaliste d’un Saadia va’jusqu’a tenter une justification par la raison des préceptes du culte dans leur particularité concrète. Celle d’un Maimonide va jusqu’à voir dans le don de prophétie la faculté ordinaire dé connaître, seulement poussée jusqu’à ses

extrêmes limites, et, dans l’illumination divineque manifeste la révélation, un procédé de connaissance essentiellement analogue à la spéculation, mais les philosophes ne doutent pas que la révélation divine soit le vrai, pas plus que les prophètes ne doutaient qu’elle fût le bien. M. Benzion KELLERMANN cherche à établir comment le judaïsme peut étrepkilosophiquement fondé, comment la religion

juive peut devenir connaissance, philosophie. Le judaïsme ne trouve que dans le caractère transcendant de ses concepts fondamentaux la garantie de l’immanence des lois qui se réalisent dans l’histoire des peuples. 11 y a identité de contenu entre l’idéalisme et le prophétisme dans l’unité de l’idée s’accomplit la justification philosophique du judaïsme. L’éthique poursuit avant tout la réalisation de ses lois dans la vie des peuples or Cohen a montré que c’est l’idée de Dieu qui confère à l’éthique cette réalité, et que le fait réalisé par cette idée est l’histoire; l’histoire est le milieu dans lequel se réalise progressivement la victoire du bien; cette victoire est obtenue par la croyance à la puissance du bien, croyance qui constitue la pure croyance en Dieu et le couronnement de l’éthique; l’action de Dieu consiste dans l’éternelle idéalisation du présent par l’avenir messianique. La critique de la connaissance aboutit à la notion de messianisme; la philosophie de Cohen aboutit au judaïsme des prophètes. Et comme cette philosophie est l’héritière de la pensée de Platon, de Kepler, de Galilée, de Descartes, de Leibniz et de Kant, on peut dire que la pensée des classiques constitue dans son ensemble une justification du judaïsme prophétique c’est que pensée prophétique et pensée classique ont leur origine dans l’unité de l’idée. Cohen a fait de l’éthique ce que le prophétisme avait senti sans l’exprimer logiquement il en a fait un devoir infini dont l’accomplissement implique l’idée de Dieu comme nécessité logique. En fondant et en parachevant la philosophie de Platon et de Kant, Cohen s’est trouvé du même coup fonder philosophiquement le judaïsme prophétique.

M. Félix PERLES étudie l’autonomie de la morale dans le judaïsme. Lazarus a vu dans l’autonomie le principe de la morale juive bien que Hermann Cohen ait montré que la notion d’autonomie est étrangère et au fond contraire à la religion juive comme à toute autre religion, il est pourtant incontestable que l’on rencontre, dans les écrits des docteurs juifs, des passages qui montrent qu’ils ont eu une idée assez nette de l’autonomie de la moralité. Des hommes pieux de l’époque prémosaïque, il est dit « Alors que la loi n’était pas encore donnée, ils la tenaient d’eux-