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M. Berthelot, en même temps qu’il sert à mettre en lumière l’intérêt philosophique des progrès que la science a réalisés, depuis l’apparition des derniers ouvrages de M. Bergson, dans le sens du néo-mécanisme ou du transformisme expérimental. Dans les derniers chapitres de son livre, M. Berthelot se demande si les thèses positives de la métaphysique bergsonienne ne sont pas sujettes à ce même flottement dont souffrirait la critique du rationalisme. L’immédiat, dans l’histoire de la psychologie, a deux significations différentes. Suivant l’une qui apparaît chez les Écossais et chez Jacobi, l’immédiat est la donnée de sens commun, telle qu’elle apparaît naturellement à la conscience. Suivant l’autre qui appartient à la psychologie anglaise, depuis Locke jusqu’à Spencer en passant par Hume, l’immédiat est le primitif, c’est-à-dire que l’immédiat est objet non d’une connaissance actuelle, mais d’une connaissance primitive ; il est la conclusion d’un raisonnement qui remonte du complexe au simple, à l’élémentaire. « L’artifice de la méthode psychologique de Bergson consiste, dit M. Berthelot, à passer, sans nous en prévenir et sans s’en apercevoir lui-même, d’un sens à l’autre du mot immédiat. C’est ce passage injustifié qui lui permet de fonder des conclusions analogues à celles du romantisme sur des raisonnements analogues à ceux de l’empirisme et de l’utilitarisme. »

De cette équivoque dans la méthode dérive l’équivoque de la doctrine : « Cette liberté que nous saisirions par intuition ; d’après l’Essai sur les données immédiates, c’est le rapport de notre moi concret, de notre moi total, à un acte déterminé de notre conscience. Et d’autre part, cette vie, cette liberté que nous saisirions en nous c’est, d’après l’Évolution créatrice, un courant de vie qui est projeté à travers tous les organismes vivants, c’est une seule et même vie qui se brise, comme un obus éclate, dans la multiplicité des espèces spatialement distinctes, dans la multiplicité des individus spatialement extérieurs les uns aux autres. »

Ces citations suffisent pour faire entrevoir les difficultés que M. Berthelot signale dans le bergsonisme, la vigueur avec laquelle se trouve posé le problème de savoir si ces difficultés seront éliminées ou résolues soit par une interprétation nouvelle, soit par un développement ultérieur de la doctrine. En tout cas, ceux-là mêmes qui suivent avec le plus d’admiration et le plus de fidélité la pensée de M. Bergson (et qui pourraient être choqués par endroits de quelques épithètes inutiles ou de quelques comparaisons musicales assez suspectes), reconnaîtront de quel profit est pour la réflexion philosophique une critique capable, par l’ampleur de l’horizon qu’elle embrasse, par la hauteur où elle maintient le débat, de faire honneur aussi bien à celui qui l’a conçue qu’à celui qui en est l’objet.

Essai d’une Logique systématique et simplifiée, par G.-H. Luquet, 1 vol. in-8 de viii-192 p., Paris, Alcan, 1913. – M. Luquet est déjà connu dans le monde des logiciens par des Éléments de logique formelle, où il a résumé avec beaucoup de netteté et de sobriété les thèses essentielles de la logique traditionnelle. Il tente ici, selon sa propre expression, de « prolonger » l’effort de la scolastique et de combler certaines lacunes de l’exposition usuelle.

La logique comprend d’ordinaire deux parties : la déduction et l’induction. La première, assez délaissée sous la forme que lui a donnée la scolastique, a été reprise et développée comme un algorithme par la logistique moderne ; mais, de l’aveu même de Whitehead, il faut, pour qu’elle soit plus qu’un jeu frivole, que les règles de calcul correspondent à des relations applicables à des objets concrets, réels ou possibles. D’autre part, l’induction est jusqu’à présent considérée surtout, non comme un véritable procédé de raisonnement, mais comme une intuition plus ou moins aventureuse et formellement illégitime. L’auteur se propose de montrer qu’on peut à la fois donner à la déduction « plus de commodité pratique sans rien sacrifier de sa rigueur », et donner à l’induction « plus de rigueur sans lui faire perdre de sa fécondité ».

Pour atteindre ce double résultat, la méthode employée consiste essentiellement à rapprocher la logique de la science. La science est un recueil de formules, qui permettent de prévoir, de tirer par le simple jeu des facultés mentales, des connaissances nouvelles de connaissances déjà acquises. Or, si certains de nos jugements sont intuitifs, c’est-à-dire se bornent à la constatation d’un fait, certains autres sont discursifs, c’est-à-dire s’appuient sur d’autres jugements antérieurement énoncés. Le rôle de la logique consiste donc à établir un formulaire grâce auquel on puisse manier les jugements et les raisonnements de manière, soit à donner des énoncés nouveaux de connaissances déjà acquises (déduction), soit à acquérir des connaissances nouvelles (induction).

La théorie de la déduction se développe, à partir de la logique scolastique, dans la direction suivante. Les scolasti-