Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 6, 1908.djvu/3

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans sa riche complexité, pour y adapter ses conseils. On n’en regrette que plus vivement qu’en sa morale théorique M. Hourticq n’ait pas su prendre plus nettement parti entre les tendances qui divisent les moralistes. Il paraît hésiter au début entre la morale rationnelle qu’il déclare insuffisante et la morale sociologique de son maître, M. Durkheim. Finalement c’est le rationalisme qu’il affirme : la morale née d’un effort spontané de la volonté raisonnable pour se discipliner. Est-ce faire des concessions à la morale sociologique que d’accorder que l’homme se développant dans la société, il doit vouloir la discipline sociale, ou que la perfection individuelle et le progrès de l’humanité sont deux aspects d’un même idéal et doivent être voulus au même titre par la volonté raisonnable ?

Kant ne le nierait point si même il ne l’affirme expressément. Pourquoi donc, s’il veut être, au fond, purement kantien, M. Hourticq ne le dit-il pas plus nettement et hardiment en résistant aux tentations du sociologisme ? Il faut bien dire non, même aux maîtres le plus vénérés.

Philosophie zoologique ou exposition des considérations relatives à l’histoire naturelle des animaux, par Lamarck. 1 vol. in-8 de xlii-316 p. Paris, Schleicher. — Il convient de signaler cette réimpression d’un ouvrage capital dont les diverses éditions anciennes sont depuis longtemps épuisées. La nouvelle édition fait partie d’une collection qui comprend déjà des œuvres de Büchner, de Hæckel, et prétend former une sorte d’encyclopédie « rationaliste », lisons : matérialiste. Nous craignons que l’œuvre de Lamarck ne soit moins édifiante, dans le sens du matérialisme, que les directeurs de la collection ne le supposent peut-être. Lamarck n’a qu’une faible part dans la création du système matérialiste qui se réclame de lui. S’il a inspiré M. Le Dantec, il a inspiré non moins directement le panoesthétisme de Cope, et ce qu’il a dit de la souplesse presque indéfinie des organismes à s’adapter aux conditions nouvelles satisfait assez un vitaliste comme Driesch (Cf. The science and philosophy of the organism, p. 271 sq.)

Sociologie de l’action, par E. de Roberty, 1 vol. in-8 de xi-352 p., Paris, Alcan, 1908. — On ne peut nier les progrès vers la clarté qu’ont accomplis, depuis ses premiers ouvrages, les idées de M. de Roberty. Pourtant, elles seraient non seulement plus répandues mais plus solides, si l’auteur, renonçant à sa manière toute dialectique, consentait à leur donner un cortège d’ « illustrations » qui seraient des preuves. Mais tout espoir, à cet égard, nous est ravi : M. de Roberty (p. 348) refuse formellement de « s’amender ».

Essayons de dégager celles de ces idées qui, dans cet ouvrage où reparaissent tous les thèmes chers à l’auteur, sont adaptées au problème spécial qu’il voulait résoudre. L’action est le phénomène social le plus apparent : aussi est-ce à l’étude des actions humaines que s’arrêtent en général les sociologues. Ils expliquent les actions par d’autres actions par exemple par l’imitation ou par la contrainte. Mais ces explications demeurent superficielles. Comment rendre compte de l’incitation et de la contrainte elles-mêmes ? Nous n’imitons autrui que si l’acte pris comme modèle est conforme à nos goûts (facteur esthétique). Nos goûts, à leur tour, dérivent de notre conception générale des choses (facteur philosophique) qui résulte elle-même de l’expérience détaillée que nous en avons (facteur scientifique). Prenez n’importe quelle action psychologique (bio-sociale) ou historique (cosmo-bio-sociale) et vous retrouverez, derrière elle, ces trois facteurs dans un ordre irréversible. Ainsi, l’action a pour cause dernière la connaissance. « La sociologie est la science qui s’attache, à travers l’analyse des faits sociaux concrets, à l’étude du mouvement idéologique, des courants d’idées qui sillonnent l’histoire » (p. 259). On voit à quel point la théorie de M. de Roberty s’oppose aux diverses espèces de pragmatisme ou, comme il dit, d’ « activisme » qui sont de mode à l’heure présente.

C’est par la connaissance, en dernière analyse, que s’explique l’action. Mais deux remarques sont nécessaires : D’abord cette connaissance n’est pas la pensée individuelle. Elle est elle-même un produit social. Suivant une thèse souvent développée par l’auteur dans ses précédents ouvrages et reprise dans la première partie de sa Sociologie de l’action, la raison est fille de la cité ; on ne passe « de la conscience à la connaissance », du percept au concept que sous l’influence de la vie sociale ; la logique est le produit de l’expérience collective. La connaissance qui détermine faction sociale est donc elle-même sociale. Et elle varie suivant les progrès de la société. Rien n’est plus éloigné de la pensée de M. de Roberty qu’une explication du sociologique par le psychologique, puisque le psychologique ou bio-social est, à ses yeux, une résultante dont le sociologique n est qu’une des composantes.