Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 6, 1908.djvu/4

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En second lieu, la connaissance comprend deux moments : l’un analytique et hypothétique : la science, l’autre, la philosophie synthétique et apodictique (conditionnellement apodictique, dit l’auteur ; mais cette expression est contradictoire ; mieux vaudrait dire : dogmatique). Or, la science n’influe sur l’action que par l’intermédiaire de la philosophie. La connaissance analytique précéda nécessairement la connaissance synthétique et l’engendre non moins nécessairement. Ce n’est pas tout : pour agir, la pensée se fait symbolique ; l’art est un intermédiaire inévitable entre la philosophie et la pratique. L’art n’est ni un jeu ni un luxe : l’art est un facteur nécessaire de la conduite humaine. Si l’influence de la connaissance sur l’action n’apparaît pas à tous les yeux c’est qu’elle est voilée par ces deux « intermèdes » : la philosophie et l’art. C’est aussi que la conduite d’une époque est souvent dictée par l’art d’une époque précédente, que l’art d’un siècle exprime souvent les dogmes d’un siècle antérieur, qu’enfin la philosophie d’un temps est souvent en retard sur la science de ce temps. Cette « loi de retard » explique l’illusion du pragmatisme, et confirme la théorie de l’auteur.

Nous ne demandons pas mieux que d’accepter cette théorie et d’attribuer aux facteurs logiques une importance prépondérante dans l’interprétation des faits sociaux. Les hommes sont tous, à des degrés divers, comme le dit M. de Roberty, savants, philosophes et artistes : leurs connaissances particulières, plus ou moins confuses, déterminent leurs idées générales, plus ou moins vagues, qui s’expriment en symboles plus ou moins « plaisants « avant de dicter leur conduite plus ou moins morale. Mais cette réduction des actions humaines à un principe unique, outre qu’elle aurait besoin d’être prouvée par des arguments moins purement verbaux, ne dispenserait pas les sociologues, comme paraît le désirer M. de Roberty, de classer les phénomènes sociaux suivant leurs caractères extérieurs, de distinguer des faits économiques, politiques, etc., et rechercher les conditions immédiates de ces faits. Pour employer le langage de notre auteur, sa sociologie est une « philosophie » sociale, synthétique et dogmatique. Loin d’exclure, elle paraît supposer une « science » sociale, analytique et conjecturale, précise et modeste, mais que ces qualités recommandent aux esprits qu’effraient un peu les constructions intéressantes mais ambitieuses de M. de Roberty.

La Pensée moderne (de Luther à Leibniz), par Joseph Fabre, 1 vol. in-8 de 564 p., Paris, Alcan, 1908. — Ce volume fait suite à la Pensée antique et à la Pensée chrétienne du même auteur. L’ouvrage de M. Joseph Fabre nous paraît pouvoir être assez exactement apprécié d’un seul mot : c’est un travail d’amateur. Disons tout de suite que cette formule, dans notre pensée, n’a rien de méprisant ni d’hostile. Travail d’amateur, cela éveille l’idée d’un ouvrage dépourvu d’un vain amas d’érudition, écrit avec aisance et clarté, se lisant d’un bout à l’autre sans ennui. Et nous trouvons toutes ces qualités dans La Pensée moderne. L’ouvrage est divisé en huit livres : la Rénovation religieuse ;la Rénovation philosophique et scientifique ;Descartes ;Pascal ;les Penseurs français de Gassendi à Malebranche ;Spinoza ;les Penseurs anglais de Hobbes à Newton ;Leibniz. Si l’on réfléchit que ces huit livres réunis ne font même pas six cents pages, on verra tout de suite qu’il s’agit nécessairement d’un résumé. Rien de plus difficile à réussir qu’un bon résumé, surtout en de si complexes sujets. Or le résumé que nous offre M. Fabre est un peu trop superficiel ; il contient malheureusement des affirmations sans preuves, et même quelques inexactitudes historiques ; il n’est pas exempt de toute partialité. En voici des exemples qu’il nous est impossible de ne pas signaler. L’auteur n’aime pas le catholicisme ; c’est bien son droit. Mais sa méthode de polémique est d’une simplicité inquiétante : toutes les fois qu’il rencontre un penseur moderne catholique de quelque valeur, il lance contre lui l’anathème, tel un pape, et le déclare hors de l’orthodoxie. Ainsi Newman est un « pseudo-catholique », un « protestant qui s’ignore » (p. 123). Ailleurs on voit avec étonnement Mgr Duchesne rangé parmi ceux qui « constatent le vide des légendes que le catholicisme a incorporées à son essence et néanmoins se piquent de rester catholiques » (p. 119). Voilà une assertion qui surprendra bien les lecteurs de la très orthodoxe et très érudite Histoire ancienne de l’Église. Ailleurs, M. Fabre s’improvisant théologien, déclare que l’essence du catholicisme,… c’est l’immutabilité dans le dogme, et il cite saint Vincent de Lérins parmi le protoganistes de cette façon de voir (p. 123). Il est toujours regrettable de citer un auteur qu’on connaît insuffisamment. Il se trouve en effet que Vincent de Lérins a soutenu la théorie du développement des dogmes, qu’il compare volontiers à la croissance