procédés intellectuels de connaissance à n’être que de simples moyens de description : la simple description ne rend pas compte de la puissance indéfinie d’application des jugements et des lois. En vain veut-il expliquer les principes mêmes de l’intelligence par l’économie de pensée : un principe d’évolution peut rendre compte de la variation et du renforcement de certaines propriétés, il ne peut répondre à la question de l’existence primordiale, de l’origine première des propriétés. L’empirisme est impuissant à fonder la science et à résoudre les problèmes que pose l’existence même de la science. Que faut-il penser de cette critique ? Il y a, croyons-nous, un malentendu fondamental dans ce genre de critique, — et voici pourquoi. Le centre du débat est au fond la question de la causalité, de la dépendance des phénomènes, sur laquelle repose la science. Le criticiste demande qu’on légitime cette causalité : légitimer cette causalité, c’est pour lui expliquer la science. Le positiviste (en prenant le mot dans un sens large) croit ce problème insoluble, — et, alors, admettant cette causalité, dans la mesure où elle est et parce qu’elle est, expliquer la science, c’est montrer pourquoi et comment — la possibilité d’une science étant déjà admise — les hommes ont constitué la science réelle que nous voyons. Il est plus important de prendre conscience de la différence des attitudes, que de critiquer l’une du point de vue de l’autre. Et c’est dans la mesure où une critique comme celle de Nelson peut nous aider à nous représenter plus nettement l’une et l’autre position qu’elle nous paraît utile : la tentative n’est pas oiseuse, Mach n’ayant pas toujours apporté dans l’expression de ses conceptions toute la clarté et la précision désirables.
The philosophy of loyalty, by Josiah Royce. 1 vol. petit in-8 de xiii-409 p. New-York, Macmillan, 1908. — M. Royce a réuni dans un petit volume des conférences qu’il a données dans diverses universités des États-Unis, et qui semblent bien présenter la formule définitive de ses vues morales. Mais ce serait diminuer la portée de ce livre que d’en faire une sorte d’éthique popularisée. Il renferme tout un système des relations de l’individu avec les autres individus, avec les différents groupes humains, avec la vérité, avec le monde en général ; et cet exposé, qui n’est pas fait, nous dit M. Royce, pour les philosophes seulement, mais pour « tous ceux qui s’attachent à quelque idéal » s’adresse tout particulièrement aux Américains, à « un pays que nous voyons maintenant si mûr pour l’idéalisme ». « Et tel chapitre du livre sera une pressante exhortation aux bonnes volontés américaines qui ne désespèrent pas du salut moral d’un peuple que bien des Européens croient livré à la brutalité des « business-men ». — Faisant une revue des divers types d’individualisme que nous offre le monde moderne, l’auteur les réfute rapidement et non sans verve, pour en venir à cette conclusion — qui à bien des lecteurs peut paraître un postulat – que l’individu ne peut pas trouver en lui-même, dans « l’affirmation » de sa personnalité, sa fin morale, et qu’il doit, à quelque moment de sa vie, se tourner vers le dehors. Il ne prouve vraiment son autonomie que par le libre choix d’une cause à laquelle il dévoue sa vie : c’est là même ce que notre auteur entend par « loyalisme » (loyalty). Mais qu’est-ce qu’une cause ? Ce ne peut être ni l’intérêt d’un individu, ni celui d’un groupe en tant que groupe ; la « cause » est ce qui constitue la raison d’être de ce groupe, non une abstraction impersonnelle, mais « l’union de plusieurs individus animés d’une vie unique ». Ce qui fait, aux yeux de M. Royce, la valeur morale singulière de cette conception du « loyalisme », c’est que, tout en donnant pour chaque personne une réponse immédiate et précise à la question : « Pourquoi suis-je ici-bas ? », elle accroît aussi la valeur du groupe. Ainsi le « loyalisme » se trouve investi d’une valeur intrinsèque, il est par lui-même une fin morale. Dès lors, quand il s’agit du choix d’une « cause », la maxime générale du choix sera celle-ci : une cause est bonne, non seulement pour moi, mais encore pour l’humanité, pour autant que je suis, en la servant, loyal au « loyalisme » (in so far as it is a loyalty to loyalty), c’est-à-dire que je donne au « loyalisme » de mes semblables une occasion de s’épanouir ; une cause est mauvaise pour autant qu’elle marque une diminution du « loyalisme » de mes semblables, quand bien même, en apparence, elle exalterait le mien. — De ce point de vue, l’auteur voit s’ouvrir devant lui de larges perspectives : toute une morale individuelle, toute une morale sociale, enfin une conception semi-religieuse du monde, dans laquelle l’objet suprême du « loyalisme », pris dans sa plus générale acception, rejoint l’être tel qu’il nous apparaît conçu dans les précédents ouvrages de M. Royce : la conscience universelle, qui n’est que la somme, non abstraite, mais douée de vie personnelle, de toutes les consciences