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individuelles. En passant, il emprunte à sa maxime générale de « loyalisme » des préceptes particuliers à l’usage des Américains, qu’il exhorte à la décentralisation, et surtout une théorie de la vérité qu’il oppose vigoureusement au pragmatisme de son ami W. James.

Tout le livre est animé d’une conviction un peu autoritaire, jointe à une éloquence simple qui conquiert la sympathie, si elle n’emporte pas l’adhésion. On ne peut pourtant se défendre de regretter que l’auteur ne nous ait pas donné, au sujet de l’individualisme, un exposé plus complet, et surtout une réfutation plus compréhensive.

Le problème de la femme. Son évolution historique ; son aspect économique, par Lily Braun. Traduit de l’allemand par Madeleine Mourlon, Em. Bernheim, S. Braun, L. Réau, Ch. Andler. Tome Ier, 1 vol. in-18 de viii-419 p. Paris, Société nouvelle de librairie et d’édition (Cornély), 1908. — C’est une bonne idée qu’ont eue les traducteurs de nous donner une édition française de l’important ouvrage de Mme Lily Braun, précieux recueil de documents sur le problème de la femme. L’auteur se rattache à l’école du matérialisme historique et fait dépendre la situation de la femme des conditions économiques. Pourtant l’historique par lequel débute l’ouvrage eût pu montrer plus nettement cette dépendance. Il ne semble pas que Mme Braun ait utilisé, pour l’histoire de l’humanité primitive, l’ouvrage capital de Grosse sur les Formes de la famille et les Formes de l’économie. Il est pourtant antérieur au sien. D’ailleurs, cet historique est, chez elle, sommaire et simpliste. Une évolution continue, si nous l’en croyions, aurait entraîné la femme de la situation peu enviable qui lui était faite aux temps primitifs jusqu’à l’aube de l’émancipation que nous commençons à entrevoir. Nulle mention n’est faite des civilisations (par exemple de la civilisation égyptienne) qui rompraient cette belle ordonnance historique. Ce qu’il y a d’artificiel dans cette méthode d’exposition aurait dû frapper l’auteur, car l’évolution économique n’est pas unilinéaire : l’évolution de la condition féminine, si elle dépend de facteurs économiques, ne doit pas l’être davantage.

Mais l’intention principale de Mme Braun, n’est pas de retracer l’histoire de la femme, c’est d’exposer, sous son aspect actuel, le problème de la femme. Et il n’est pas douteux que, si l’énoncé de ce problème s’est modifié au xixe siècle, les facteurs économiques ont puissamment contribué à cette révolution. L’auteur distingue entre le mouvement féministe bourgeois et le mouvement féministe prolétarien. Elle raconte les femmes de la bourgeoisie luttant durant la fin du xixe siècle, pour obtenir l’accès des professions libérales, des fonctions publiques, des emplois commerciaux. Pourquoi s’engagent-elles dans cette lutte ? C’est que les femmes, particulièrement dans la bourgeoisie, sont plus nombreuses que les hommes ; c’est qu’en outre un certain nombre de ceux-ci n’ont pas de goût pour le mariage : beaucoup de femmes doivent donc renoncer à compter pour vivre sur le travail de leur mari. Beaucoup n’ont, d’autre part, que de la répugnance pour l’oisiveté à laquelle on les condamnait autrefois. Ont-elles le droit d’aspirer aux professions viriles ? Rien dans leur nature physiologique ou psychologique ne le leur interdit (liv. II, chap. iii : un des plus intéressants du volume). Parallèlement au mouvement féministe bourgeois se développe le mouvement prolétarien : le machinisme appelle les femmes à l’usine. Ce tome Ier se termine par une statistique du travail dans le prolétariat féminin. Statistique difficile à établir, étant donné les incertitudes et les incohérences des documents officiels Mme Braun s’est efforcée d’obtenir quelques résultats précis ; son travail, très méritoire, ne saurait pourtant être considéré comme définitif. L’inconvénient de semblables travaux, c’est qu’à peine terminés ils sont à refaire. La situation des femmes n’est plus la même, au moment l’on traduit l’ouvrage de Mme Lily Braun, qu’au moment où elle l’écrivait. On peut même regretter que les traducteurs français n’aient pas, dans leurs notes, modifié, au moins en ce qui concerne la France de 1908 certains chiffres et certaines appréciations qui ne manquaient pas d’exactitude en 1900. L’ouvrage est, en effet, un excellent tableau de la situation économique des femmes au début du xxe siècle. On y trouvera, en outre, des idées intéressantes et mesurées sur les revendications féminines : l’auteur est l’ennemie déclarée du féminisme qui voudrait ériger le sexe auquel elle appartient en caste égale ou supérieure à la caste masculine : le féminisme qu’elle défend ne sépare pas les sexes, ne les oppose pas l’un à l’autre, mais estime qu’en dépit des différences sexuelles, tous les êtres humains ont des droits égaux.

L’évolution de la vie, par H. Charlton-Bastian, trad. avec avant-propos par H. de Varigny, avec la collaboration de