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Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 6, 1910.djvu/3

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de vérité, en montre l’insuffisance, puisque l’expression d’une émotion varie selon les individus et les circonstances, qu’elle reflète les nuances et la complexité de tout un état psychologique unique en lui-même, et qu’elle ne saurait donc traduire un mécanisme anatomique fixé une fois pour toutes : il faut donc faire intervenir, à côté de celui-ci, des associations nerveuses variables liées à la diversité des représentations. – C’est dans le même esprit que l’auteur corrige la thèse de Lange et de James : sans doute, sans modifications corporelles il n’y a pas d’émotions, et l’intensité de celles-ci dépend du nombre et de l’importance de celles-là : mais, d’autre part, ces modifications elles-mêmes peuvent-elles s’expliquer par un pur mécanisme ? « Un même objet ne s’imprime pas de la même façon dans tous les esprits ; il sera représenté différemment suivant l’expérience et suivant les images déposées dans le cerveau de chacun ; c’est pourquoi il fera surgir des réactions périphériques fort diverses… Chacune des attitudes corporelles entraînera une émotion particulière, mais l’attitude elle-même dépend de la nature de la perception ; c’est la perception qui, suivant son contenu, suivant la richesse de ses associations d’images, suscite, modère, précipite la série des états organiques » (p. 99). « Si les phénomènes organiques apportent à l’état de conscience son caractère affectif, ils sont eux-mêmes normalement suscités et dirigés par la perception antérieure, telle qu’elle peut se constituer d’après l’organisation mentale déjà établie » (p. 113). « L’émotion dérive donc de deux facteurs : le facteur représentatif et le facteur organique… Il faut admettre un système d’images, et c’est l’ordre de ces images qui détermine l’ordre des processus organiques » (p. 155).

Il n’y a rien à objecter, nous semble-t-il, à ces conclusions, que l’auteur appuie sur un grand nombre de faits, minutieusement analysés. Nous aurions voulu lui voir indiquer plus fortement, peut-être, que la théorie de James constituait un renouvellement inattendu de la doctrine tant décriée des facultés distinctes, puisqu’elle impliquait, et des représentations initiales sans aucun caractère affectif, et des émotions indépendantes des représentations. Ainsi, elle se conciliait mal avec l’hypothèse du parallélisme psychophysique ; car, si l’état de conscience et l’état organique ne sont que les deux aspects d’une même réalité, il est illogique de ne voir dans l’émotion que le simple effet des modifications corporelles, périphériques ou internes, et il est clair qu’elle doit se développer pari passu avec celle-ci.

La Psychologie animale de Charles Bonnet, par Ed. Claparède, professeur à la Faculté des Sciences (Mémoire publié à l’occasion du Jubilé). Une brochure in-8 de 95 pages avec un portrait, Genève, Georg et Cie, 1909. — Étude très consciencieuse des théories de Charles Bonnet sur l’âme des bêtes, sur l’instinct, sur l’adaptation des animaux aux circonstances nouvelles, sur l’origine de l’amour maternel, sur l’intelligence de l’animal comparée à celle de l’homme, sur la personnalité des polypes et sur l’immortalité de tous les êtres organisés. Ch. Bonnet était un observateur plutôt qu’un esprit systématique. Aussi apportait-il des idées directement suggérées par les faits, difficiles parfois à coordonner entre elles, également éloignées de toutes les philosophies qui se partageaient ses contemporains. Il repoussait à la fois l’automatisme cartésien et l’anthropomorphisme finaliste. Il acceptait les explications mécanistes et les étendait même à une série de démarches dont elles n’avaient pu rendre compte avant lui, et, d’autre part, il marquait l’insuffisance du mécanisme par de fortes objections que ne dédaignerait pas aujourd’hui un vitaliste comme Driesch ou comme Reinke. M. Claparède a dépensé beaucoup de finesse pour situer Ch. Bonnet au milieu des doctrines contradictoires qui semblent tour à tour l’attirer. Il lui suffit souvent de traduire la pensée de Ch. Bonnet dans le langage scientifique de notre temps pour restituer à cette pensée une jeunesse qui étonne. Citons un seul exemple. Voici comment peut se traduire la raison que donne Bonnet pour admettre une âme intervenant dans l’adaptation aux circonstances : « Une activité adaptée (ne reposant pas sur un mécanisme inné) suppose qu’est envisagée la totalité des circonstances au sein desquelles elle doit se dérouler. C’est cette vue d’ensemble, cette compréhension générale de la situation, à la fois du but à atteindre et des moyens à choisir pour y parvenir, qui implique une unité de conscience que les partisans de l’interactionnisme ne peuvent concéder à des processus mécaniques ou physico-chimiques » (p. 55). La théorie de l’action de l’âme sur le corps fait penser à l’opinion d’Ostwald suivant laquelle l’énergie psychique n’est qu’une transformation momentanée de l’énergie physique. L’explication de l’amour maternel et de l’instinct d’incubation est non seulement analogue, mais identique à celle que devait donner Giard