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un siècle plus tard (l’urticaire du chapon).

Ajoutons que l’intérêt de cette étude n’est pas tout entier dans l’exposition des idées de Bonnet. Il est aussi dans la discussion de ces idées. Des parties entières de chapitres nous renseignent non sur la psychologie animale de Bonnet, mais sur celle de M. Claparède et ces pages ne sont pas les moins instructives.

Cabanis. Choix de Textes et Introduction, par G. Poyer. 1 vol. in-16 de 222 p., Paris, Louis Michaud (s. d.). — Après avoir étudié la vie de Cabanis et recherché les différentes influences qui ont pu agir sur lui, M. Poyer analyse successivement l’œuvre de l’éducateur, du médecin, du philosophe. Comme éducateur, Cabanis a grande confiance dans la « puissance des lumières », et c’est d’ailleurs du point de vue pédagogique, beaucoup plus que purement scientifique, qu’il s’est occupé des questions médicales. Son œuvre philosophique est la plus importante : il est, dit M. Poyer, le créateur d’une science nouvelle, la psycho-physiologie, qu’il veut dégagée de tout rapport avec la métaphysique et dont il décrit la méthode et fixe les caractères principaux et les limites ; en tant que tel il complète Descartes et s’oppose à lui. M. Poyer en conclut, qu’il faut absoudre ce précurseur, déjà placé dans l’attitude de la science moderne, de l’accusation de matérialisme. Quoi qu’il en soit, et quels qu’aient été le mérite et l’influence de ce philosophe, son originalité, par rapport à certains penseurs du xviiie siècle, Diderot par exemple et Helvétius, n’est peut-être pas aussi grande que le prétend l’auteur.

Cette longue préface est suivie d’un choix de textes intéressants et bien classés.

Recherches sur les sources du Discours de J.-J. Rousseau sur l’origine et les fondements de l’Inégalité parmi les hommes, par Jean Morel. 1 vol. in-8 de 82 p., Lausanne, Pache-Varidel et Bron, 1910. – « Ces Recherches sont fragmentaires. C’est leur principal défaut. L’auteur étudie successivement l’influence de Diderot, de Condillac, des Juristes du droit naturel, puis cherche à déterminer la part de l’information strictement scientifique dans le Discours. Cette information, Rousseau la tire de Buffon, de Montaigne, des histoires de voyages : il y a donc certainement chez lui une tendance marquée à l’expérience, une recherche du fait scientifique. » Telle est la conclusion de l’auteur, et nous la croyons partiellement fondée. Toutefois, l’influence de Diderot, si difficile d’ailleurs à déterminer, nous semble bien diminuée, de même que celle de Condillac.

David-Friedrich Strauss. La Vie et l’Œuvre, par Albert Lévy. 1 vol. in-8 de 295 p., Paris, Félix Alcan. — Construit sur un plan moins vaste que l’ouvrage consacré par le même auteur il y a quelques années à la Philosophie de Feuerbach, le Strauss nous offre aussi moins d’informations inédites, le sujet étant déjà mieux exploré par les chercheurs allemands. En revanche, le livre est plus mûrement composé, écrit d’un style plus lucide et plus vivant : cette fois nous pouvons vraiment suivre le développement intérieur d’un esprit. Peut-être nous semblerait-il plus continu, si la transition était mieux marquée de l’une à l’autre des grandes œuvres. M. Andler, qui nous l’assure, présente en même temps deux justes critiques. En parlant de Hegel, l’auteur a méconnu « l’effort très réaliste » qui se cache sous ses formules tout abstraites, et le rôle que son système assigne à l’Individu. En parlant de la seconde Vie de Jésus, il n’a pas dit à quel point Strauss, cessant de s’opposer à l’école de Tubingue, en adopta sur le tard la méthode et les conclusions. Le lecteur tiendra compte de ces réserves. Mais nous ne croyons pas, avec M. Andler, qu’ « aujourd’hui les gens qui s’intéressent à Strauss lisent Strauss dans le texte, et lisent sur Strauss les livres écrits en allemand ». Ce labeur est indispensable aux spécialistes ; il est bon qu’il soit épargné à ceux qui veulent seulement situer Strauss dans l’histoire de la pensée religieuse, ou le connaître juste assez pour mieux comprendre Renan.

La gloire de Strauss reste fondée sur l’œuvre de sa vingt-septième année, la première Vie de Jésus. Il l’appelait lui-même « un livre inspiré ». Dès le début de la rédaction, ses scrupules, ses doutes avaient disparu ; d’un automne à l’autre, un enthousiasme sans défaillances lui faisait mener à bien deux énormes volumes (1400 p. in-8). C’est qu’il avait hâte de se libérer ; c’est aussi que cette œuvre hardie était en quelque façon impersonnelle et nécessaire : Les termes mêmes du problème ne pouvaient manquer de suggérer une solution analogue, — du jour où ils seraient mis en présence dans un esprit comme celui de Strauss, bien informé, attentif et sincère. Sans doute fallait-il aussi qu’il fût préparé par l’esprit de son époque. Mais les influences subies n’ont pas tant guidé Strauss qu’elles ne l’ont assuré dans sa voie, en lui voilant le but qui l’aurait effrayé. Le mysticisme de Schelling et celui de Schleiermacher lui