Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/143

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vertu n’est pas une fin extérieure que l’on puisse poursuivre par des moyens distincts d’elle : la vertu est dans les moyens comme dans la fin ; ou plutôt la vertu, c’est l’effort même de l’homme qui arrive par la conscience de soi à sa pleine autonomie. Ce n’est donc pas par l’abnégation que l’homme pourra se restaurer dans son être ; c’est au contraire par une entière affirmation de sa nature. Toujours et partout l’homme s’attachera à ce qui lui est utile, et il est aussi illusoire qu’illégitime de lui proposer un bien qui ne serait pas son bien. Mais comment passera-t-il de la vie mensongère à la vie véritable ? Par une transition naturelle et continue. Tandis que dans la vie mensongère on présente la soumission à la loi comme une rupture avec les désirs, il faut reconnaître plutôt que c’est le développement du désir qui conduit à la vie véritable. Il y a dans l’existence donnée un principe solide qui fait que nous pouvons la dépasser sans la détruire : la tendance à persévérer dans l’être, qui s’est dispersée dans la multiplicité incohérente des objets extérieurs, travaille d’elle-même à se reconquérir et à se reconstituer ; elle se fortifie et se libère à mesure qu’elle se transpose dans un ordre nouveau, qui est l’ordre de la raison ; c’est par la raison qu’elle réussit à grouper sous une unité ferme les éléments qui la composent ; elle transforme ainsi en idées adéquates, qui sont sa puissance propre, les idées inadéquates, qui sont surtout la puissance des choses ; elle attire à elle, pour la reprendre, toute la force qu’elle avait vainement éparpillée au dehors. Mais cet affranchissement n’est possible que parce que la vie sensible ne se soutient pas par elle seule ; la passion a beau diviniser son objet : elle ne saurait donner l’être à ce qui n’a pas l’être. Les rapports empiriques ou imaginaires que la sensibilité a établis tombent par leur fragilité même : il n’y a de consistance que dans les rapports établis par la raison. Or les rapports qu’établit la raison sont vrais, parce qu’ils unissent les êtres par leurs propriétés positives et constitutives, parce qu’ils montrent en chaque être la nécessité qui le fait être et qui le fait être tel, qui le rend en un sens indestructible et inviolable. L’homme qui conçoit ce genre de rapports n’est plus exposé à affirmer ce qui est illusoire, à nier ce qui est réel ; il ne se met plus désormais en contradiction avec la nature, ni avec ses semblables ; il éprouve que les affirmations véritables, qui sont les êtres eux-mêmes, ne sauraient s’exclure puisqu’elles sont des affirmations, que nécessairement elles doivent se comprendre, et qu’enfin la loi universelle qui règle le monde n’est