Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/157

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ou de matière, il faut faire rentrer cette réalisation du nombre pour être sûr de pénétrer avec plus de précision la pensée de Pythagore, sans soulever des questions qui ne sont pas du temps de Pythagore, je n’hésite pas à déclarer qu’il y a dans cette réalisation un fait absolument normal, que vous reconnaîtrez, je l’espère du moins.

J’ai voulu vous expliquer, dans ma leçon d’ouverture[1], que les progrès de la science générale sont marqués par l’introduction, dans le langage scientifique, de concepts nouveaux. Mais les efforts que j’ai dû faire alors pour vous faire bien comprendre le caractère formel de ces concepts, pour ôter de votre esprit et de votre imagination les fantômes qui, malgré vous, s’y glissent sous les mots, ces efforts, dis-je, seraient, à eux seuls, une preuve suffisante que nous ne sommes pas faits aujourd’hui d’une autre pâte que Pythagore et que ce qui est le plus difficile pour nous, c’est encore et toujours de nous dégager de la tendance à objectiver les concepts. Sans remonter trop loin de nous dans l’histoire des idées, allons seulement jusqu’à Descartes.

Vous savez les grands faits scientifiques qui viennent de se produire : les lois de Galilée sur la chute des corps, et surtout les lois de Kepler sur les planètes viennent d’être énoncées. Le monde apparaît aux yeux de Descartes comme s’expliquant tout entier par les phénomènes géométriques. La physique de Descartes va être une géométrie. Comment lui-même jugera-t-il la révolution scientifique à laquelle il préside ? Vous vous le rappelez, messieurs. Descartes ne se contente pas de dire, comme nous ferions aujourd’hui : il est précieux pour la physique de l’univers de ramener tous les phénomènes à des notions de géométrie, d’étendue. Le métaphysicien, qui double en lui le savant, dira bien nettement : l’étendue est l’essence des choses matérielles, les choses sont étendue, comme Pythagore avait dit : les choses sont nombres. Au fond même, il y a là plus qu’une analogie, c’est presque la même idée qui est exprimée par les deux formules. La révolution cartésienne en mathématiques ne tend à rien moins en effet qu’à faire de la longueur la quantité type : la quantité passe du domaine abstrait du nombre pur dans celui de l’étendue. Si vous aimez mieux, pour Descartes, l’étendue, c’est la quantité ; de sorte qu’en déclarant, à propos de l’univers physique, que les choses sont étendue, il ne rappelle pas seulement, il réédite la formule

  1. Voir la Revue rose, n° du 30 avril « L’explication scientifique ».