Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/17

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avait voulu détourner pour toujours. Et aujourd’hui l’on voit des intelligences de plus en plus nombreuses aspirer à franchir les bornes où le Criticisme et le Positivisme avaient prétendu nous renfermer.

Les sciences particulières qui étudient les faits dont nous sommes entourés obéissent à des règles et suivent des voies générales. Ne faut-il pas qu’il y ait en dehors de ces sciences une science qui connaisse de ces règles et de ces voies ? À quelle science partielle appartiendrait-il de rédiger le « Discours de la méthode » ou le traité de la « Philosophie des sciences » ? Délimiter le domaine des différentes connaissances, définir leurs buts et leurs moyens, n’est-ce pas l’affaire de quelque sorte de savoir différent, sinon supérieur ? En second lieu les sciences particulières, tout en voulant se réduire à des assemblages de phénomènes sensibles, ne sauraient se passer d’un perpétuel recours à des principes d’une autre nature qui rattachent ces faits les uns aux autres. Ne faut-il pas une science différente qui examine et apprécie ces principes ? Dût-on prouver que ce ne sont qu’imaginations vaines, encore faut-il pour le prouver se servir d’une telle science. S’il faut philosopher, a dit un ancien, il faut philosopher ; et s’il ne faut pas philosopher, il faut philosopher.

La théorie écartée, disait Kant, il reste la pratique ; la métaphysique mise à néant, il reste la morale ; et la morale, fondée sur une idée qui nous est toujours présente de devoir ou de loi à accomplir, avec des croyances, à défaut de science, qui s’en concluent, se suffit à elle-même. Mais qu’est-ce que ce « nous » si d’aucune existence nous ne pouvons rien savoir ? Que peut bien être une loi pour qui ignore et ce qu’il est et même s’il est ? Et qu’est-ce que cette loi même qui se réduit à une stérile généralité ?

Dans le Positivisme, au lieu de « devoir » il n’y a de règle pratique pour chacun, les faits sensibles étant toute la vérité, que son intérêt sensible. Et alors où est l’emploi de ce qu’il y a pourtant dans nos penchants mêmes de désintéressé ? Le système ne rend pas compte de ce qu’il y a en nous de meilleur. Si le Criticisme et le Positivisme paraissent ne pas suffire à ce que demande l’intelligence, on ne voit pas qu’ils suffisent davantage à ce que demande le cœur.

Rien donc de plus naturel que de voir, comme nous le voyons en ce moment même, beaucoup d’esprits reprendre volontiers les chemins que suivirent les grandes religions et les grandes philosophies, et aspirer à atteindre par de nouveaux efforts les fins où elles tendirent.