Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/18

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Dès les temps les plus reculés, les hommes se crurent enveloppés de tous côtés par des puissances invisibles dont les phénomènes qu’offrait la nature étaient des manifestations. Ces puissances, ils les concevaient à l’instar de celle qu’ils trouvaient en eux-mêmes et qui était volonté. Ils les croyaient, de plus, généralement bienveillantes, quoique souvent redoutables et vengeresses, et les perfections de la nature leur paraissaient en témoigner. « Les merveilles du monde, dit Leibniz, ont fait penser à un principe supérieur. » Ils croyaient enfin que ces puissances avaient donné l’être aux mortels en les faisant sortir du séjour où elles-mêmes résidaient, et que c’était la destinée humaine de retourner, après passage sur la terre, à ce séjour. De là des pratiques par lesquelles, en reconnaissant les biens qu’ils avaient reçus, ils espéraient en obtenir de nouveaux, et surtout ce bien suprême du retour dans la divine patrie.

Dans ces conceptions, la divinité, dont tout dépendait, était cachée dans une sorte de nuit. Les principaux rites des religions étaient destinés à faire pénétrer auprès d’elle les fidèles. C’est ce qui les fit appeler, chez les Grecs, des « mystères ».

Ajoutons qu’au fond, et sans s’en rendre compte distinctement, on pensait, dès ces temps anciens, que la plus méritoire des pratiques était encore d’imiter les dieux dans les plus hautes de leurs perfections. Ils avaient tout donné ; tel d’entre eux s’était donné lui-même. Il fallait donner, se donner à leur exemple ; de là, au lieu de la haine mutuelle dont on a fait quelquefois un caractère essentiel des premières familles, cette hospitalité qui, dans Homère, fait accueillir comme un représentant de Jupiter un mendiant, et à laquelle, chez des peuplades sauvages, on sacrifiait ce qu’on avait de plus cher.

Telle était la consécration morale de l’idée qui fit le fond des religions primitives, et suivant laquelle tout sortait d’un fonds inépuisable de richesse et de libéralité.

La philosophie vint qui chercha à voir plus clairement ce qu’entrevoyait l’instinct. Son entreprise ne fut pas, de la part de ceux qui la fondèrent, comme ce fut plus tard l’effort du matérialisme ou du positivisme, de supprimer l’action invisible, cause première des phénomènes, mais plutôt de la montrer nécessaire sous la série des moyens visibles par lesquels elle tendait à ses fins, et de l’en distinguer.

C’est ainsi que la théorie leibnizienne arriva à distinguer plus nettement encore que par le passé l’apparence sensible et la puis-