Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/172

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la classe. Il n’y a causerie que s’il y a échange, influence de chacun des causeurs sur l’autre. Sinon, c’est un monologue inavoué. — Pour résoudre cette difficulté, il suffit d’être bienveillant et tolérant. Il faut avoir une vraie bienveillance, une vraie sympathie pour l’âme d’autrui ; il faut aimer à sortir de soi ; il faut s’intéresser vraiment aux autres, non par dilettantisme, mais par bonté, par humanité sincère. Il faut trouver sa joie à voir éclore les idées des jeunes gens. Alors on tient naturellement compte de ce qu’ils disent. — Il faut de plus une vraie tolérance : il faut non seulement s’intéresser à une pensée étrangère, mais supporter sans impatience une pensée adverse. Un homme qui bout quand on n’est pas de son avis ne saurait réussir dans le dialogue : mais serait-il jamais bon professeur ? — Ce qui est plus rare que la tolérance pour la pensée des autres, c’est la tolérance pour la façon dont ils pensent : souvent un esprit ne peut supporter une pensée lente, qui s’exprime péniblement ; il s’irrite contre ces gens qui n’en finissent pas ; il voudrait leur cracher au visage leur idée toute formulée. C’est d’un autoritaire et d’un maladroit. En classe, en présence d’intelligences si diverses, si mal formées encore, parfois si lourdes, un homme de ce tempérament serait en perpétuelle ébullition. Il faut donc reconnaître que l’emploi du dialogue lui serait impossible. — Mais il y a, je le sais, bien peu de professeurs que cette objection doive effrayer.

Ainsi toutes les difficultés se résolvent d’elles-mêmes : le dialogue nous paraît donc supérieur à tous les procédés. Pour l’employer avec succès, il est besoin, non pas d’un talent de causeur — ce sont là de trop grands mots, — mais simplement de conscience et de bienveillance : c’est le meilleur éloge qu’on puisse faire d’une méthode.

Camille Mélinand.