nouvelles des sciences historiques et sociales, en la rendant désormais indépendante de toute métaphysique.
La critique des théories individualistes, au nom de la justice et du droit a été faite depuis longtemps ; et ici M. Richard ne nous apporte guère qu’une expression ferme et très nette dans sa généralité d’idées déjà connues. Nous le suivons d’ailleurs dans cette critique, tant qu’il n’en fait pas un argument contre toute métaphysique du droit. Définissant comme lui l’individualisme, « la conception qui fait la conscience individuelle juge souverain des devoirs que la société peut exiger d’elle », nous dirions volontiers que l’individualisme ne rend pas compte de l’idée de droit ni même de la société la plus élémentaire, puisqu’il est la négation de toute solidarité ; et nous ajouterions que c’est là une conception fausse, parce que la notion d’individualités qui se suffiraient à elles-mêmes est due à l’analyse et par conséquent abstraite ; et que l’individu empirique est un produit complexe dont le principal facteur est l’expérience sociale. — Mais il y a, nous dira-t-on, des philosophes individualistes qui ont tenu compte du droit, et qui ont cru pouvoir le fonder. D’accord, et disons même que toute philosophie pratique doit faire intervenir, sous une forme quelconque la notion du juste : seulement, cette notion ne pouvant sortir analytiquement de celle d’individualités multiples, et vraiment distinctes, mises en contact les unes avec les autres, l’universalité de la notion du droit nous prouvera qu’il ne peut exister un individualisme parfaitement conséquent ; et qu’il y a seulement des théories qui font plus restreinte, et d’autres qui font plus grande la part de la solidarité. Mais raisonner ainsi, c’est encore éluder la question. Une thèse philosophique se caractérise historiquement non seulement par les éléments qu’y découvre une analyse objective, mais par les intentions de ceux qui la soutiennent, et, lorsqu’il s’agit de problèmes pratiques, par l’orientation qu’ils désirent donner à la conduite humaine. Or ce qui a existé, ce qui existe encore, et ce qui est non seulement faux, mais dangereux, ce sont les théories morales et sociales (peut-on leur appliquer encore cette appellation ?) qui, supposant d’abord l’individu réellement enfermé en lui-même, et capable de se suffire, parlent cependant de justice et de droit, et ne s’aperçoivent pas que de l’individuahsme ne peut sortir que l’égoïsme radical, celui qui rapporte tout à soi, et hors de soi ne reconnaît que des choses, des instruments ou des obstacles ; que le droit implique nécessairement l’altruisme ; et que l’altruisme, même sous sa forme la plus élémentaire, celle de la stricte équité, n’est jamais purement limitatif ou négatif. En un mot il existe des tendances individualistes et nous pensons, comme M. Richard, que ces tendances sont, dans une large mesure, responsables de ce qu’il y a d’anarchique et de branlant dans notre état social.
Mais nous ne croyons pas, comme lui, que la métaphysique du droit, contemporaine de la philosophie de la volonté, soit inféodée au dogme de l’individualisme. M. Richard a bien compris que l’empirisme qui subordonne ou qui nie la sociabilité est un empirisme incomplet ; et il nous présente sa propre méthode comme un retour à l’expérience totale qui dans la conscience enveloppe les penchants altruistes avec les penchants égoïstes.