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Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/24

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s’explique par la puissance, c’est la puissance au contraire qu’explique seule l’action. Ce n’est qu’action diminuée ou restreinte, et si Aristote ne l’a pas expressément enseigné, s’il s’est borné à dire, sans chercher une origine au possible, que l’actuel le précède, on ne voit pas qu’on puisse, la maxime aristotélique admise, considérer les possibles, avec ce qu’ils comportent d’actuel, autrement que comme résultant d’une sorte de modération par le premier principe de son essentielle activité[1]. Ce sera en s’inspirant de telles idées que Plotin dira plus tard : Dieu est le maître de sa propre existence. Aristote n’appelle-t-il pas la nature, ou âme des êtres, un principe de mouvement et de repos ? Dans ce vaste univers où chez Aristote comme chez Platon les choses inférieures offrent les mêmes rapports et, selon l’expression d’Aristote, les mêmes différences que les choses supérieures, ne voit-on pas partout ces alternatives de tension et de rémission, diront les Stoïciens, que forment dans les êtres vivants le travail et le repos, le sommeil et la veille ?

Ainsi est remplacée par une existence à deux états différents, à deux degrés, l’opposition de contraires irréconciliables, à laquelle l’esprit d’abstraction réduisait la nature. Les modes ont des contraires qu’oppose l’un à l’autre comme absolument incompatibles l’entendement humain. L’Être n’en a point. Il est un premier terme qu’un second suit, puis d’autres, formant une série où chacun est puissance pour ce qui le précède, action pour ce qui le suit ; théorie qui fait concevoir comment l’opposition peut enfin se résoudre en unité. L’univers y forme une série de termes analogues les uns aux autres en même temps que divers, et de hauteurs différentes, que lie les uns aux autres la présence intime d’un seul et même principe.

Ces deux états de l’être qui expliquent tout, l’action et la puissance, comment les connaît-on ? C’est, dit Aristote, par l’analogie.

L’action et la puissance ne se définissent point. Les définitions qu’on en peut essayer ne font que renvoyer de l’une à l’autre. C’est que les premiers principes, ne supposant rien d’antérieur d’où l’on puisse les tirer, ne se démontrent ni ne se définissent. La philosophie première a pour procédé unique, rigoureusement parlant, l’intuition. « Il ne faut pas, dit Aristote, demander la raison de tout, c’est là une faiblesse de l’entendement, mais embrasser du regard les analogues. » Nous voyons partout en exemples la puissance et

  1. Comp. la Philosophie en France au XIXe siècle, 2e édition, p. 278-281.