Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/240

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sortes qui en sont au dedans ou au dehors l’objet ou le contenu, nous n’avons toujours là, suivant la profonde remarque de Hume, que des phénomènes. Les actes d’où résultent le jugement et le raisonnement sont successifs. Pas plus que les sensations, ils ne peuvent être pris pour une substance. Au dedans comme au dehors ne s’offrent que des événements soumis à des lois différentes, mais également passagers. Et cependant nous croyons percevoir hors de nous des êtres réels, des corps dans l’espace, indépendants les uns des autres comme s’ils étaient doués d’une existence propre, comme s’ils étaient, suivant l’expression consacrée, des choses en soi. Nous croyons plus fermement encore, s’il est possible, à notre réalité substantielle ; nous avons la certitude d’être, à travers le continuel écoulement de nos états, de nos manières diverses de sentir, de penser ou de vouloir, uns et identiques, et parmi les philosophes qui ont le plus facilement douté de l’existence des corps, au sens ordinaire du mot, plusieurs ont maintenu la réalité du moi comme le type de la réalité que nous prêtons ensuite aux prétendus supports des phénomènes extérieurs. Ajoutons tout de suite que la démonstration la plus rigoureuse de leur fausseté ne changera rien à nos croyances : nous percevrons toujours des corps, nous nous connaîtrons toujours comme distincts des actes ou des phénomènes qui se succèdent en nous. De même que les notions d’astronomie les plus exactes ne nous empêchent pas de voir le mouvement du soleil autour de la terre et de dire comme les ignorants qu’il se lève et qu’il se couche, nous continuerons de connaître non pas nos sensations seulement, mais des objets, non pas nos actes ou nos états simplement, mais le moi auquel invinciblement nous les rapportons. Si c’est une illusion, elle est naturelle, insurmontable. D’où vient-elle ?

De la réponse à cette question dépend, pourrait-on dire, le sort même de la philosophie. La grande originalité de Spir est de l’avoir résolue d’une façon toute nouvelle. Sa grande découverte, dont il a eu seulement le tort bien pardonnable de parler en termes qui ont pu sembler emphatiques, est d’avoir, je ne dis pas expliqué, mais simplement constaté comment se produit la double hallucination qui nous fait percevoir des corps et des esprits.

À ce mot, le lecteur, j’imagine, va se récrier : Taine, chez nous, n’a-t-il pas déjà assimilé la perception extérieure à une hallucination vraie ? En quoi donc la doctrine de Spir est-elle nouvelle ? La théorie de Taine, si l’on y regarde de près, est simplement une réédition,