Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/241

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avec une variante toutefois, de la théorie cartésienne. Comme Descartes, il fait consister la vérité de la perception dans sa correspondance aux objets. Il admet donc implicitement l’existence de ces objets ; le seul problème pour lui est d’expliquer comment nos sensations ou nos perceptions s’accordent avec eux, alors qu’ils ne sont cependant pas immédiatement sentis et perçus, alors que nous avons affaire seulement à ces perceptions, à ces sensations, qui sont en effet les seules données immédiates. Descartes attribuait à Dieu la tâche de les adapter à des objets extérieurs ; Taine l’attribue à la nature : elles sont pour lui « des hallucinations le plus souvent vraies, et, par un artifice de la nature, arrangées de façon à correspondre aux objets ». Il n’y a donc entre ces deux philosophes que la différence d’un mot. Mais comment parler d’une correspondance ou d’une conformité de nos perceptions avec des objets situés hors de notre expérience ? Une telle correspondance ne peut jamais être vérifiée ; elle est donc aussi inutile à supposer que l’existence même d’objets placés hors de notre atteinte ; il vaut mieux par conséquent ne rien en dire et ne pas parler de ces objets. Ce n’est pas, en effet, dans la manière de correspondre à des objets inconnaissables par définition que réside la vérité de nos perceptions. Les perceptions vraies diffèrent des hallucinations proprement dites, des rêves et des autres illusions semblables, « en ce qu’elles sont valides pour tous les sens et pour tous les sujets percevants, qu’elles sont des parties intégrantes de l’ordre universel manifesté dans notre expérience ».

Mais la question reste entière : comment, au lieu de nous en tenir à l’affirmation des phénomènes donnés, sensations ou sentiments, affirmons-nous l’existence de corps et d’esprits, auxquels nous rapportons ces phénomènes comme des états ou des qualités ? Remarquons en outre que pour la conscience vulgaire ces substances ne sont pas connues médiatement, et, comme le voudrait Stuart Mill, par je ne sais quelle inférence plus ou moins laborieuse ; nous ne les trouvons pas non plus dans les conclusions d’un raisonnement dont la majeure serait, par exemple, le principe de causalité ; les corps auxquels nous croyons, nous sont immédiatement donnés et nous saisissons immédiatement le moi. D’où vient cette illusion naturelle, ou, pour employer le mot dont Spir modifie un peu le sens ordinaire et dont il se sert de préférence, d’où vient cette déception ?

Elle est l’effet de la loi fondamentale de notre pensée.