comme l’enseignent les spiritualistes, ni, comme l’admettent les sensualistes, une simple série de sentiments et de sensations, ni enfin un produit du concours des atomes, comme le prétend le matérialisme. Notre moi est un composé ou un processus, mais un composé qui se connaît lui-même comme une unité absolue, comme une substance. Cette connaissance n’est assurément qu’une illusion, mais sans cette illusion l’existence du moi serait impossible et c’est par elle que notre moi prouve son unité, laquelle possède ainsi la même réalité que les sentiments et les idées, bien qu’elle ne soit pas comme eux l’objet d’une perception immédiate. Nous chercherions vainement en nous-mêmes une substance qui soit le support, le fondement de nos états successifs. Nous ne sommes pas, nous vivons, notre être est une suite de phénomènes, un devenir. Notre personnalité, permanente en apparence, est à tout moment produite à nouveau par le concours de diverses conditions, comme elle peut être à tout moment anéantie par un simple changement dans les conditions dont elle dépend. Nous sommes convaincus cependant de la substantialité, de la simplicité et de l’unité numérique, inconditionnée du moi aux différents moments du temps. Ce n’est pas, comme le croyait Kant, l’effet d’un paralogisme de la raison pure ; ce n’est pas, excepté toutefois dans les traités de psychologie rationnelle des spiritualistes, une erreur de la pensée, de la réflexion, mais une illusion, une déception naturelle ; nous nous apparaissons à nous-mêmes comme un objet simple, distinct et indépendant de tous les autres, identique à lui-même, en un mot comme une substance, comme quelque chose qui est et ne devient pas seulement, qui n’est pas le simple produit de causes et de conditions ; sans cette apparence, la conscience et l’individualité en nous seraient impossibles, en un mot, nous ne pourrions pas être.
C’est que rien n’est plus inconcevable et même plus extraordinaire que la manière d’être vraie des choses de l’expérience, au dedans comme au dehors ; nous parvenons à la connaître telle qu’elle est à force de réllexion, et quand nous sommes arrivés à la certitude que les corps existent en apparence seulement, que le moi n’est pas une substance, nous continuons à percevoir des corps, à avoir conscience de notre personnalité. De part et d’autre, c’est une illusion naturelle, sans laquelle l’existence du contenu donné n’aurait pas été possible, et à laquelle, d’ailleurs, sont en définitive ajustés et appropriés l’ordre et la régularité de ce contenu, sensations ou sentiments.