Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/254

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Mais on ne peut avoir une idée exacte de l’essence du moi qu’autant qu’on s’est affranchi de l’illusion, je veux dire qu’on l’a reconnue, tout en la subissant.

N’est-ce pas un effet de cette illusion de croire à notre unité ? Une véritable unité serait inconciliable avec la dualité du sujet et de l’objet, elle n’aurait donc pas conscience d’elle-même. De plus, nous devons distinguer en nous ce qui pense et ce qui sent, et chacun de ces deux termes pris séparément n’a ni unité, ni simplicité, ni identité avec soi-même ; ils sont l’un et l’autre dans un perpétuel changement, sans que l’on puisse dire cependant qu’il y ait là une pure succession de sentiments ou une pure succession d’idées. Nous nous apercevons en effet nous-mêmes comme une unité réelle, mais par suite d’une illusion sans laquelle la conscience serait impossible, sans laquelle nous n’existerions pas. En considérant, maintenant, qu’une illusion n’est possible que par les idées, nous devons admettre que ce qui pense, le sujet pensant, est comme le pilier de la conscience et, par elle, de notre existence même. C’est de ce sujet que l’unité est le plus indubitable, et dans le jugement, et dans la connaissance du passé et de la succession en général ; on ne peut donc pas dire qu’il soit une simple succession d’idées, que l’unité de conscience résulte d’une combinaison d’idées particulières. Dans le cas même où des idées particulières pourraient agir les unes sur les autres, cette action serait de nature physique, et la connaissance du passé comme tel, la fonction de juger, etc., ne peuvent pas être expliquées physiquement, mais dépendent de lois logiques. Or un sujet un peut seul obéir à des lois logiques, seul il peut juger, raisonner, se souvenir du passé, anticiper sur l’avenir. Le sujet n’est donc pas le simple résultat de l’association d’idées particulières, mais au contraire les idées, en tant qu’elles servent à former des jugements, sont des actes du sujet. N’avons-nous pas dans cette unité du sujet pensant et jugeant la preuve que nous ne sommes pas dupes d’une illusion en nous prenant pour une substance ?

C’est un des points les plus délicats de la recherche philosophique, c’est là aussi le fort de cet idéalisme qui suspend toute réalité au sujet pensant, à l’acte de penser, considéré comme l’unique et suprême substance. Pour trouver la vraie solution de ces difficultés, il faut avoir une fois bien compris que le devenir n’est pas une fonction (en aucun sens connu) de la substance digne de ce nom, que le fait de penser n’est donc pas, par cela même qu’on lui attri-