Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/278

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Notre question est précise : nous ne cherchons pas ce qu’est la vérité en soi : cette enquête de la vérité sur la vérité constituerait un paralogisme. Nous nous demandons simplement ce que l’homme entend réellement par le mot, dans quelles circonstances il l’applique. Pour le savoir, nous ferons appel à la conscience, en essayant de saisir par elle ce qui se passe en nous, dans un cas (le cas du doute) qui, nous présentant le désir du vrai avec un grossissement particulier, nous permettra de distinguer nettement sa signification.

Constatons donc ce que l’observation intérieure nous apprend sur la nature de ce désir du vrai, dans le cas privilégié dont nous avons parlé. Ici nous n’avons pas besoin d’intervenir : l’analyse se fait d’elle-même dans la conscience et chacun peut observer ses résultats. Chacun dans sa vie mentale a passé, et plus d’une fois, par ce moment où l’esprit, après avoir acquis pour satisfaire son activité propre, s’est trouvé en possession d’un certain nombre d’idées sur un sujet donné. Chacun s’est aperçu que la concurrence qui se produit alors entre elles constitue une vraie lutte pour la prédominance, et elle dure, c’est un fait d’expérience personnelle, tant que les idées alliées à l’une ou à l’autre idée principale se contre-balancent, sont de force égale au point de vue de la dynamique mystérieuse de l’esprit. Les efforts réciproques (nous usons ici d’un langage métaphorique, car nous ne voyons pas quel autre employer pour traduire des données de conscience évidemment insaisissables et inexprimables dans leur propre essence) des deux parties peuvent s’anéantir peu à peu sans résultat : usure qui, pour peu que la méditation se prolonge, aboutit à une sorte d’irritation intellectuelle dont le fond est une vague sensation, presque physique, de l’anéantissement de toute pensée sur ce sujet. C’est un sentiment d’effort pénible et vain, c’est-à-dire sans résultat approprié, et ce malaise de la pensée aboutit naturellement au désir de ne plus penser. Dans un certain nombre de cas, au contraire, une des idées principales et son cortège d’idées alliées l’emportent et le malaise cesse : l’esprit s’est décidé, et il sait que penser sur la matière qui était proposée à ses réflexions. Et il se dit alors en possession de la vérité. Le phénomène qui se produit alors est l’inverse de celui que nous décrivions plus haut : c’est un règne absolu de l’idée triomphante, dont la force croît de moment en moment pendant un certain temps et qui occupe en maîtresse la conscience, comme si les idées antagonistes s’étaient totalement évanouies. On sent alors une joie profonde qui