Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/281

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

science idéale, la seule dont nous parlions pour le moment) de l’esprit. Désirer le vrai, c’est donc désirer perdre cette mobilité libre (apparente ou réelle) qui laisse l’esprit en butte à toutes les apparitions du dehors, à un conflit douloureux de perceptions incompatibles.

Ouvrons ici une parenthèse pour répondre brièvement à la question : Qu’est-ce qui rend possibles ces perceptions incompatibles et entrant en conflit ? D’une manière générale, c’est ce caractère original de l’esprit qu’on appelle la mémoire, ou la possibihté pour les états de conscience passés de revivre, de reparaître, comme on dit, dans la conscience. Cette réviviscence peut être spontanée : c’est même son caractère le plus fréquent, mais elle peut aussi être volontaire : on l’appelle alors remémoration. Or l’esprit qui se souvient ou se remémore des états de conscience les compare nécessairement, comme indépendamment de sa volonté, avec les états de conscience actuels qui, quoique portant sur un objet qui semble le même, sont pourtant différents des anciens et connus tels grâce à la mémoire. En effet, toute perception étant un état de conscience considéré, dans la théorie ordinaire de la connaissance — la seule au point de vue de laquelle je me place maintenant, comme je l’ai dit, — comme représentatif d’un objet et comme le produit de deux facteurs, l’objet externe et le moi, toutes les probabilités tirées de l’expérience sont pour que, à des moment différents de la durée (en toute rigueur : quelque rapprochés qu’on les prenne), l’un des deux facteurs ou tous les deux aient varié en quelque chose et pour que, par conséquent, leur produit, l’état de conscience, ait varié aussi. D’où l’on voit que c’est une sorte de nécessité humaine que ces multiples apparences d’un objet (réputé cependant le même et nommé d’un seul nom), apparences diverses, au moins, quand elles ne sont pas contradictoires. Et ces multiples apparences diverses, soit par une sorte de mouvement naturel à l’esprit, soit quelquefois par un effort à demi volontaire, se trouvent évoquées à propos d’une d’entre elles, actuelle et vive, et peuvent lui devenir simultanées (au moins le paraître) de successives qu’elles furent à l’origine. Mais telle est la constitution mystérieuse de l’esprit que cette coexistence entraîne nécessairement une comparaison et un conflit, qui trouble l’équilibre et cause un malaise sui generis. De là, pour l’esprit, la nécessité d’acquérir la science, c’est-à-dire de se créer, par le moyen d’associations stables d’idées, une protection contre les perturbations qui pourraient être apportées à son bien-être et qui, si elles n’étaient