Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/285

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est aussi bien une connaissance, une science, que posséder une vérité d’ordre universel. Il y a seulement là différence d’extension ou de degré, non de nature. Car « vrai » ne comporte en soi que détermination qualitative et non quantitative. Pourquoi donc refuse-t-on le nom de science à une connaissance ne portant que sur l’individu ? Parce que ce n’est pas le vrai objectif que l’on cherche réellement, mais bien une protection pour l’esprit contre les perturbations externes possibles. Or il est clair que la connaissance de l’individuel ne prémunit que contre la perturbation que peut apporter cet individuel ; mais contre toutes les perturbations possibles des objets analogues à cet individuel, l’esprit reste alors désarmé. Or une protection fragmentaire n’est pas une protection. Celle-ci, on ne la recherche que complète : et c’est pour ce motif qu’on n’admet pas de science de l’individuel.

Et ces lois affirmées sont, par une extériorisation qui semble constitutive de l’esprit, affirmées des « objets extérieurs » alors que, tout comme la prévision, elles ne portent et ne peuvent porter que sur les événements internes de l’esprit[1]. La science a son siège, son

  1. Cette affirmation est et a toujours semblé si paradoxale que de très bons esprits, après en avoir avancé toutes les prémisses, au moment d’arriver à cette conclusion, tournent le dos à la logique et accordent à l’homme la connaissance de « Lois physiques ». Tel M. Rabier en son Traité de psychologie. Il reconnaît (p. 28) qu’il n’y a pas, pour nous, à parler rigoureusement, de phénomènes physiques et physiologiques. Il n’y a, il ne peut y avoir que des phénomènes psychologiques. Et cependant, à la page suivante, il déclare que les lois que cherche la physique « ne sont pas des lois psychologiques, mais bien des lois physiques traduites en termes psychologiques » (p. 29). Pour le prouver, il prend comme exemple cette loi : L’eau portée à 100° entre en ébullition. Il reconnaît que tous les termes de cette loi sont psychologiques, car — c’est lui qui parle — il est impossible de se représenter l’eau, sa température, le phénomène de l’ébullition, autrement que par des sensations ou des images de sensalions. Pourtant cette loi, assure-t-il, n’est point une loi de phénomènes psychologiques ; car les phénomènes psychologiques dont elle énonce le rapport ne sont pas, en tant que tels, nécessairement liés. Il n’y a en effet, au moment où la température de l’eau atteint les 100°, qu’à détourner la tête ou qu’à fermer les yeux, et les phénomènes psychologiques qui sont pour nous l’ébullition ne se produiront pas » (p. 20). Arrêtons ici la citation pour nous demander ce que, à le bien prendre, signifie cette dernière phrase. De deux choses l’une, ou vous détournez la tête au moment où l’eau atteint moins que 100°, 99°,9 par exemple, et alors la non-production du phénomène ne prouve rien, puisque l’ébullition ne peut pas se produire alors — ou bien vous détournez la tête au moment où l’eau atteint exactement 100° et alors il est déjà trop tard, vous avez dû voir ipso facto l’ébullition (à moins de supposer le cas tout spécial — où d’ailleurs la loi n’est plus vraie — d’une eau chauffée en vase clos). — Mais laissons ce moyen de réfuter l’auteur : la loi en question constitue en somme un jugement analytique. Faisons abstraction de ce défaut et considérons la manière de raisonner en elle-même. Achevons la citation interrompue : » Prise comme loi psychologique, c’est-à-dire comme énonçant un rapport nécessaire entre les phé-