Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/303

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elle est cause efficiente, cause de la liaison des idées (ἡ ὲπιθυμία τῆς φιλίας αὶτια)[1], comme elle est pure spontanéité (τὸ αὐτὸ αὑτὸ κινοῦν) et principe du mouvement (ὰρχὴ τῆς κινήσεως). Le corps n’est qu’une expression, une façon de parler de l’âme : la division physiologique des parties du corps (tête, poitrine et partie inférieure au diaphragme) est identique à la division psychologique des puissances (δυνήμεις) de l’âme : la pensée immortelle, le θύμος et l’ὲπιθυμία. Mais, en dernière analyse, l’éternité de la matière est une éternité fausse et « bâtarde », elle est conclue de la perpétuité de ce développement spirituel que nous ne pouvons exprimer que par un mythe : car il est instabilité, spontanéité, pur devenir. « Le temps est à la fois plus vieux et plus jeune que soi-même[2]. » La matière, c’est le temps, en tant qu’il est passé, plus vieux que soi-même ; l’âme, c’est le temps, en tant qu’il est à la fois passé et avenir ; — insaisissable comme l’instant présent, elle a un passé et un avenir éternels (τὸν ἂπαντα χρόνον γεγονώς τε και ὲσόμενος).

L’erreur est de prendre la philosophie de Platon pour un système où chaque proposition correspond à une réalité. On raisonne ainsi : puisqu’il nous parle de la matière, c’est que la matière existe ; puisqu’il nous parle de l’âme, c’est que l’âme existe. Dès lors on soulève les problèmes insolubles de la participation des choses, ou des âmes, aux idées. Au contraire la philosophie de Platon est une méthode où nous nous élevons du point de vue de la matière au point de vue de l’âme, du point de vue de l’âme au point de vue de l’idée. — D’abord, avec le sens commun « bâtard » nous disons : le monde est matériel, puis, parlant le langage de la poésie et du mythe, nous disons : le monde est un esprit, ou plus exactement : la création d’un esprit ; — enfin, par l’exercice de la réflexion philosophique, nous arrivons à cette conclusion dernière : le monde est une dialectique. Les trois divisions de l’être que nous rencontrons dans le Timée ne sont pas vraies au même point de vue ; ce sont trois points de vue, dont chacun supprime les deux autres. Il n’y a pas non plus chez Platon une cosmologie, une psychologie et une théologie. Mais lorsque nous nous plaçons au point de vue psychologique et mythique du devenir, il est nécessaire que la psychologie se systématise en une théologie (l’âme comme cause efficiente) et en une cosmologie (l’âme comme matière de ses propres créations).

Morale. — Idée de fin. — Déjà, dans la partie de son ouvrage intitulé : Physique, M. Bénard ne peut faire abstraction, en psychologie, de l’idée d’immortalité personnelle, — en théologie des attributs moraux de Dieu. Pour ces attributs, nous dit il, « vouloir prouver que Platon les admet tels que le vrai théisme lui-même de tout temps les a compris et reconnus, serait superflu (p. 298) ». — « Le Dieu de Platon, comme celui de Socrate, est par excellence un Dieu moral. » Voyons si l’examen de la morale platonicienne ne nous aidera pas à faire le départ, dans la doctrine, de l’élément dialectique et de l’élémenl mythique, à préciser cette distinction et à éclaircir les confusions où M. Bénard est tombé.

  1. Lysis, 221 d.
  2. Parménide, 151 e sqq.