Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/304

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L’idée morale, l’idée du bien, c’est l’idée en tant qu’elle est représentée comme fin. Or c’est lorsque nous posons l’idée non plus comme vérité éternelle, mais comme se réalisant dans une nature soumise à la loi du temps, que l’idée est représentée comme un futur, un but, une fin. « L’être qui n’est ni bon ni mauvais aime le bien à cause de (διὰ) la présence de ce qui est mauvais et nuisible, et en vue de (ἕνεκα) ce qui est bon et utile[1] » — par exemple le corps aime et demande la médecine parce qu’il est malade et en vue de la santé ; — par la négation en lui de la maladie, il tend et fait effort vers la réalisation de la santé. Ainsi, dès que la nature nous apparaît comme un système d’efforts et de désirs (ὲπιθυμὶαι), elle nous apparaît, par là même, comme un système de fins. Or un système de fins relatives implique, pour que la systématisation soit complète, une fin absolue et inconditionnelle. Il est nécessaire « que nous refusions d’avancer toujours ainsi, de fin relative en fin relative, et que nous arrivions enfin à un principe qui n’implique pas lui-même un autre aimable, mais nous amène à ce qui est le premier aimable (τὸ πρῶτον φὶλον), ce à cause de quoi nous disons que toutes les autres choses sont aimables[2] ». L’idée devient donc idée du bien, lorsqu’elle est représentée comme le but de sa propre réalisation dans une nature ; c’est le désir qui crée le bien, et nous ne pouvons parler du bien qu’au point de vue du devenir et par mythes.

C’est pourquoi, autant nous étions éloigné de souscrire au jugement sévère porté par M. Bénard sur la valeur scientifique de la physique de Platon, autant il nous paraît difficile de ratifier son appréciation de la valeur morale du système. M. Bénard, reproduisant l’opinion courante, écrit en effet : « Quant à la partie du système qui contient la philosophie pratique et dont la base est la morale, nous n’avons pas hésité à nous ranger parmi ceux qui regardent Platon comme le plus grand des moralistes anciens. Aristote lui-même lui cède sur ce point et aucun des autres philosophes des époques suivantes ne saurait lui être comparé » (p. 537). Il semble, au contraire, que, s’il est un de ces deux philosophes, Platon et Aristote, auquel l’épithète de moraliste doive convenir, Aristote soit celui-là. « La vertu, dit encore M. Bénard, est la fin dernière de la philosophie de Platon. » On pourrait dire, à la rigueur, que la vertu est la fin dernière de la philosophie d’Aristote ; car l’aristotélisme est un spiritualisme, le Dieu d’Aristote est un esprit, et, dans cette philosophie, la puissance, l’habitude, la vertu, l’acte et l’acte pur (δύναμις, ἓξις, ὰρετή, ὲνέργεια, ὲντελέχεια) ne sont que les dénominations différentes, les degrés successifs d’une même réalité spirituelle. Tout au contraire pour Platon : qu’il y ait chez lui un idéal moral, qu’il se soit préoccupé de définir les moyens pédagogiques les plus propres à mettre l’humanité en possession du bonheur, défini par la sagesse, nul ne le conteste. Mais enfin, la science, et la science discursive, reste chez lui le dernier terme de la spéculation ; la dialectique a pour objet le vrai, et nous ne pouvons parler du bien que dans le langage du mythe. La vertu (ὰρετή), c’est, pour Platon comme pour les

  1. Lysis, 218 c.
  2. Ibid., 219 c.