Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/305

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Grecs, la propriété d’une chose, sa disposition à agir avant l’action : la vertu de l’œil, c’est la propriété qu’il a de voir ; la vertu du cheval, c’est son aptitude physique à bien courir. Vertu est donc, au moins dans un premier sens, synonyme de devenir et de développement dans le temps ; définie, elle cesse d’être vertu, elle devient idée. De là une difficulté insoluble pour le dialecticien. Comment la recherche de la science est-elle possible ? demande Socrate dans le Ménon. Car ou bien l’on sait ce qu’on cherche, mais alors on ne le cherche plus ; ou bien l’on ne sait pas ce qu’on cherche, mais alors on ne peut pas le chercher[1]. De la science, le dialecticien peut parler dans le langage clair et distinct de la science ; mais du développement même de la science dans les âmes individuelles et de la promptitude plus ou moins grande de ce développement, il ne peut parler que par mythes et par métaphores. Par le mythe de la réminiscence, par exemple, il rendra sensible ce qui est « divin » et inintelligible, à savoir que l’âme puisse, dans le présent, se souvenir, c’est-à-dire être encore ce qu’elle n’est déjà plus, et prévoir, c’est-à-dire être déjà ce qu’elle n’est pas encore. — La science, chez Aristote, ne dépasse pas la sphère de la contradiction et de la dualité ; pour devenir absolue, il faut qu’elle se fasse intuition de l’être simple, acte pur. Chez Platon, l’idée d’acte est une idée confuse, dont le lieu est le monde du devenir et du temporel : la science résout les actes d’affirmation de l’âme en éléments d’intelligibilité ; l’acte se résout en idée, — le bien n’est qu’une forme provisoire du vrai. — Il y a chez Platon, pourrions-nous dire en empruntant des termes à la philosophie allemande moderne, une doctrine de la sagesse ; mais il faut aller à Aristote pour trouver une éthique (et non plus seulement une politique, un traité de pédagogie sociale), une doctrine des mœurs.

Nous pouvons maintenant examiner les problèmes que soulève la morale platonicienne, et que M. Bénard agite au chap. IV de la IIIe partie de son ouvrage ; nous ne parlons pas du problème du libre-arbitre, complètement étranger à la pensée de Platon, mais de ces questions où il ne faut pas voir de pures questions sophistiques, posées par Socrate et par Platon : Est-ce que la vertu peut s’enseigner ? — La vertu est-elle une ou plusieurs ?

À la première question, M. Bénard répond dans les termes les plus obscurs. Pour Platon et pour Socrate, « la vertu est une science,… mais la face saillante est toujours celle du système ; l’impossibilité de transmettre et d’enseigner ce qui ne s’enseigne ni ne se transmet : l’idée qui constitue la science parfaite, l’idée du Bien. Elle est innée… C’est du reste la conclusion positive de tous les dialogues négatifs où interviennent d’autres idées » (p. 378-9). Si nous avons réussi à montrer que la dialectique platonicienne est non pas une « science parfaite dont l’objet est l’idée du Bien », mais la réflexion sur les idées pures qui fondent l’intelligibilité du monde sensible, cette interprétation devient inadmissible, et c’est ailleurs qu’il faut chercher le sens positif des dialogues à conclusion négative. La signification de ces dialogues est, suivant nous, la nécessité de distinguer le point de vue mythique du point de vue dialectique. — Au point de vue dialectique, nous

  1. Ménon, 80 c.