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de Bolyaï et de Lobatschewsky, deux triangles qui ont leurs angles égaux sont égaux, c’est-à-dire ont leurs côtés égaux chacun à chacun.

C’est ce fait qu’on énonce en disant que dans tout autre espace que l’espace euclidien il n’y a pas de similitude possible sans égalité, ou qu’il n’y a pas de figures semblables : car ce qui est vrai de la similitude des triangles est vrai de la similitude de figures quelconques.

En d’autres termes, donner les angles d’un triangle euclidien, c’est déterminer seulement les rapports de grandeur de ses côtés ; donner les angles d’un triangle non euclidien, c’est déterminer la grandeur absolue de ce triangle et de ses côtés.

Inversement, dans l’espace euclidien, les angles d’un triangle ne dépendent que des longueurs relatives de ses côtés ; dans l’espace non euclidien, ils dépendent des longueurs absolues des côtés.

Il en résulte que la forme d’une figure non euclidienne dépend de sa grandeur, ou que sa grandeur dépend de sa forme. Ainsi ce qui caractérise l’espace euclidien par opposition aux autres, c’est, selon la formule lumineuse de M. Delbœuf[1], l’indépendance réciproque de la grandeur et de la forme. Un tel espace est dit homogène[2].

Définissons encore d’autres expressions excellentes empruntées au même auteur : Majorer ou minorer une figure, c’est en agrandir ou diminuer toutes les longueurs dans un rapport donné, sans que les angles varient ; c’est, en un mot, en changer la grandeur sans en changer la forme. Cette opération, par laquelle on obtient des figures semblables de grandeurs différentes, n’est possible que dans un espace homogène, où, par définition, la forme des figures est indépendante de leur grandeur absolue.

Or, quand on affirme la relativité de l’espace, on entend par là que la même figure peut y être indifféremment grande ou petite, c’est-à-dire que les propriétés des figures dépendent uniquement des relations entre les grandeurs de leurs éléments constituants. On affirme, en d’autres termes, la possibilité de majorer et de minorer une figure quelconque. Donc, dire que l’espace est relatif, c’est dire qu’il est pour ainsi dire semblable à lui-même, c’est-à-dire homogène ; et réciproquement « dire

  1. Prolégomènes philosophiques de la géométrie, p. 129. Liège, Desoer, 1860. — Dans cet ouvrage, antérieur a la publication du mémoire de Riemann et aux travaux de Helmholtz et de Beltrami, M. Delbœuf, n’ayant qu’une connaissance incomplète de la géométrie de Lobatschewsky (op. cit., p. 71), a défini l’espace euclidien, ainsi que la droite et le plan, par l’idée d’homogénéité, et réduit les postulats fondamentaux de la géométrie à des principes rationnels. Les recherches ultérieures des mathématiciens n’ont fait que confirmer cette théorie ingénieuse et profonde, qui était, pour l’époque où elle a paru, une véritable divination.
  2. M. Delbœuf appelle isogène tout lieu géométrique qui admet le déplacement d’une figure invariable, autrement dit, où les figures peuvent se mouvoir sans déformation ; ce terme nous parait préférable à ceux d’uniforme et d’identique, que nous avons employés dans le même sens. L’isogénéité de l’espace constitue ce que Riemann appelle l’indépendance des grandeurs par rapport au lieu. On remarquera l’analogie de cette formule avec celle par laquelle M. Delbœuf définit l’homogénéité de l’espace ; l’une et l’autre font bien ressortir le sens philosophique des deux caractères essentiels de l’espace euclidien.