Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/314

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que l’espace est homogène, revient au fond à dire que rien n’a une grandeur absolue[1] ».

À quoi M. Lechalas objecte que les grandeurs sont tout aussi relatives dans un espace non euclidien que dans l’espace euclidien, attendu qu’elles dépendent du paramètre spatial auquel elles sont toutes rapportées.

Nous répondrons à M. Lechalas qu’il joue sur les mots, ou du moins qu’il prend le mot relatif dans un sens tout différent et presque opposé au nôtre. C’est justement, dirons-nous, parce que les grandeurs non euclidiennes sont relatives à un paramètre fixe, qu’elles sont absolues ; et c’est parce que les grandeurs euclidiennes ne dépendent d’aucun paramètre qu’elles sont relatives, tandis que, si M. Lechalas suivait jusqu’au bout son raisonnement, il devrait logiquement leur attribuer une valeur absolue.

Expliquons d’abord par une analogie ce qu’est ce paramètre spatial. Parmi les espaces à trois dimensions, l’espace euclidien est analogue au plan, qui est la surface homogène ; les espaces non euclidiens sont analogues aux sphères, qui ne sont pas homogènes, mais seulement isogènes. Dans le plan comme dans l’espace euclidien, quand on donne les angles d’un triangle, on ne détermine que les rapports de ses côtés ; sur la sphère comme dans l’espace non euclidien, un triangle est complètement défini par ses angles, et ses côtés ont des longueurs déterminées. Cela vient de ce que, dans ce dernier cas, il y a une longueur donnée, à savoir celle du rayon de la sphère, à laquelle sont proportionnelles les longueurs de toutes les lignes tracées sur cette sphère. De même, toutes les longueurs de l’espace non euclidien sont proportionnelles à la racine carrée du paramètre spatial, qui représente le rayon de courbure de cet espace, de sorte qu’à chaque valeur attribuée à ce paramètre correspond un espace différent des autres. Ce fait est d’ailleurs évident, car les côtés d’un triangle sphérique déterminé par ses angles sont nécessairement exprimés en degrés de grand cercle, et l’on ne connaît leur longueur que lorsqu’on donne le rayon du grand cercle, c’est-à-dire le rayon de la sphère elle-même. Seulement, comme on suppose toujours ce rayon égal à 1, autrement dit, comme on le prend pour unité de longueur, les longueurs des arcs de grands cercles se trouvent par là même déterminées en apparence dans les formules de la trigonométrie sphérique. M. Lechalas nous rappelle que Lobatschewsky avait, de même, pris le paramètre spatial pour unité de longueur, ce qui le faisait disparaître des formules ; mais que Bolyaï l’a mis en évidence, ce qui montre bien que toutes les grandeurs sont relatives à ce paramètre.

Il n’en est pas moins vrai que dans un espace non euclidien donné, comme sur une sphère donnée, un triangle est entièrement déterminé par ses angles, et plus généralement que la grandeur d’une figure est déterminée par sa forme, parce que le rayon de courbure de la sphère ou de l’espace est une grandeur fixe, imposée d’avance. Sans doute les côtés du triangle ne sont déterminés que par leur rapport à ce paramètre qui figure dans leur formule ; mais dès que la grandeur absolue de ce paramètre est donnée, toutes les longueurs calculées sont fixées et prennent une valeur absolue.

  1. J. Delbœuf, op. cit., p. 129.