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I
Note de Biran sur ses conversations avec Ampère.

Je reconnais maintenant et d’après mes dernières conversations avec M. Ampère que la sensation du mouvement telle que l’a imaginée M. de Tracy, ne peut être un fait primitif ; que c’est une idée relative qui suppose quelques termes de comparaison fixes et par conséquent des perceptions et des jugements antérieurs. La sensation du mouvement ne peut être autre que celle du déplacement du corps ; la sensation du déplacement suppose bien une place, un lieu fixe donné hors de soi et relativement auquel l’individu sent qu’il se déplace. Il est certain qu’un être qui n’aurait pas encore vu ni touché, et qui donnerait volontairement l’impulsion motrice à son corps en masse ou à une partie, éprouverait une suite de sensations intérieures particulières où il aurait l’aperception immédiate de son effort et des parties musculaires qui résistent ; je crois aussi qu’il distinguerait ces parties les unes des autres et qu’il pourrait les localiser à sa manière ; mais sans avoir aucune idée de lieu ni de translation par rapport à ce lieu, comme nous l’avons par l’exercice de notre faculté locomotive jointe au toucher et à la vue.

La difficulté et l’embarras de ces discussions tient ici à ce que nous ne pouvons employer que les termes consacrés par l’usage, et qu’à ces termes se trouvent associées des idées toutes formées d’après l’exercice même des sens dont nous voulons faire abstraction. Le moyen de faire entendre ce qu’est la sensation du mouvement dans un être qui n’a encore rien vu ni touché ; et cependant il y a bien quelque modification qui correspond au mouvement de translation réellement exécuté. Quand l’être fictif meut son corps, il éprouve donc quelque chose que nous appelons sensation du mouvement, quoiqu’il puisse ignorer qu’il se meut et qu’il change de place. Si nous supposons sa main immobile et qu’un corps glisse dessus, il n’aura plus l’idée de mouvement, mais s’il meut lui-même sa main sur le corps immobile, ou qu’il frotte les mains l’une sur l’autre, ne pourrait-il pas avoir dans cette action voulue l’idée d’un mouvement, d’un déplacement ?