Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/390

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Nous demandons que la philosophie soit mise en situation de contribuer à ce progrès ; nous ne voulons pas prétendre qu’elle y doive présider, la prétention serait vaine autant que ridicule. Que le concours soit ouvert : à elle-même de se faire sa place. Nous ne sommes point surpris qu’à une époque où les professeurs de philosophie étaient tout à la fois les plus stériles des dogmatiques et les plus abstraits des historiens, la jeunesse ait été demander la parole de vie à d’autres, capables de lui présenter une conception de l’humanité et du progrès autrement large, philosophique et éducatrice, et que, depuis Michelet et Quinet, les historiens se soient volontiers pris pour les éducateurs attitrés de la France. Mais nous nous souvenons aussi que c’est à la philosophie de justifier la croyance à l’histoire et l’affirmation du progrès ; car l’histoire de l’humanité est avant tout l’histoire de ses découvertes morales, et la loi du progrès est la morale elle-même. Michelet est moraliste parce qu’il est historien ; mais Fichte, parce qu’il est moraliste, est le véritable historien. Nous osons espérer que la philosophie remplira la tâche qu’elle avait un moment désertée, et qui est la sienne. Par là pourra être conciliée, dans l’Enseignement supérieur, comme elle l’a déjà été dans l’Enseignement secondaire, l’opposition entre l’esprit littéraire et l’esprit scientifique. Renan — dont il convient de citer les opinions quand il s’agit du Collège de France — voyait là une contradiction que la suppression de l’un des termes pouvait seule résoudre. Le cours, conçu d’après la méthode littéraire, devait à ses yeux dégénérer en un « brillant » exercice d’éloquence, en une « déclamation » digne de la décadence romaine ». Or la méthode philosophique ne prête pas à ces accusations : et, si l’on reconnaît que ses « démonstrations » sont aussi « laborieuses », ses « analyses » aussi « patientes » que celles des sciences exactes, elle a bien le droit de se faire gloire, une fois au moins, de ce qui a été regardé si souvent de sa part comme un excès d’orgueil. — D’autre part, il est impossible que, sous prétexte de suivre la méthode scientifique, l’enseignement supérieur se taise systématiquement sur tout ce qui est « matière de goût et de croyance », et considère son œuvre comme achevée, lorsqu’il aura réuni autour des chaires d’hébreu, de diplomatique, ou de mathématiques supérieures, une douzaine ou une vingtaine d’auditeurs. Le ministre de l’instruction publique est aussi le ministre de l’éducation publique ; il ne peut soufîrir que le Collège de France se désintéresse des principes qui dirigent la connaissance et la conduite, et