nature de la vie affective et active, et ne modifie pas jusqu’aux besoins organiques eux-mêmes : de sorte que l’intelligence pourrait être dite leur véritable caractère. Les besoins intellectuels ne sont pas en général accompagnés de l’agitation intérieure et extérieure qui accompagne les autres ; mais n’y a-t-il de passions fortes que les passions « de feu » ? M. Ribot donne, comme preuve de l’inefficacité de l’intelligence, la monotonie de la vie chez les grands manieurs d’abstractions, et leur répugnance pour l’action extérieure. Mais une force ne se manifeste-t-elle pas également dans l’inhibition et dans l’action, et cette monotonie ne peut-elle être tenue pour l’effet de l’action de la pensée sur la vie ? Ce que M. Ribot appelle atrophie du caractère, c’est parfois la modération des désirs résultant naturellement d’une dérivation, du côté de l’intelligence, de toutes les forces affectives et actives.
Dira-t-on que l’intelligence n’est aussi puissante que par la faiblesse de la sensibilité ? C’est ainsi que M. Ribot regarde comme des apathiques primitifs tous les grands intellectuels et tous ceux qui agissent en vertu d’une décision réfléchie. Mais nous nous demandons si l’observation ne justifierait pas l’assertion inverse : certains sont des apathiques parce qu’ils sont des intellectuels. Nous pourrions — en nous servant du langage « précis » de la physiologie — dire que les centres correspondant à l’élaboration intellectuelle peuvent agir par l’effet de leur plus grand développement sur les centres de l’émotivité, et non pas seulement se développer par l’inertie de ces derniers.
Il est vrai que psychologiquement « la vie affective précède la vie intellectuelle qui s’appuie sur elle ». Les besoins intellectuels peuvent en effet se manifester actuellement assez tard chez ceux-là même en qui ils dominent ; mais il faut bien admettre que le corps peut être, dès la naissance, organisé en vue de fonctions qui se manifesteront seulement dans l’adolescence ou l’âge adulte, ainsi que cela se passe pour les organes de la génération. Peut-être une intelligence puissante est-elle comme préformée dans l’organisme, et comme la raison déterminante, au moins partielle, de cet organisme. D’ailleurs, nous n’avons pas à nous poser à propos d’une classification qui doit être avant tout, comme M. Ribot le reconnaît, pratique, concrète, des questions qui touchent au fond même des choses, et qu’on ne peut supposer préalablement résolues, ou trancher en quelques lignes pour les besoins de la cause. Il suffit que les tendances intellectuelles, chez certains hommes, et à partir d’un certain âge, nous apparaissent comme agissantes pour que nous devions délimiter une classe d’intellectuels.
Ce sont là, nous le reconnaissons, des cas exceptionnels ; et les intellectualistes eux-mêmes (qui n’ont jamais nié cela) se laisseront aisément persuader qu’en général l’intelligence n’est pas l’élément déterminant de notre caractère. Mais le nombre des individus ne doit pas être ce qui règle la constitution d’une classe ; si les cas-types sont rares ici comme toujours, nous n’apprendrons pas certes à M. Ribot que l’étude en est la plus intéressante et la plus féconde.
Au reste la tendance générale de M. Ribot est, comme nous le constate-