rons plus d’une fois, de transformer en série linéaire le circulus de la vie. C’est ainsi qu’il tend peut-être à restreindre plus que de raison, même au point de vue physiologique, l’autonomie relative du système nerveux et du cerveau, à les faire dépendre à peu près exclusivement des viscères, des organes inférieurs[1].
Parmi les raisons que nous donne encore M. Ribot pour éliminer l’intelligence comme élément fondamental du caractère, il en est une bien caractéristique : « Le caractère exprimant l’individu dans ce qu’il a de plus intime ne peut se composer que d’éléments essentiellement subjectifs ; et ce n’est pas dans les qualités intellectuelles qu’il faut les chercher, puisque l’intelligence tend de plus en plus vers l’impersonnel ».
Les tendances « intimes « de l’individu sont-elles donc nécessairement personnelles ; n’en est-il pas d’impersonnelles ? C’est la vieille question de l’égoïsme et de l’altruisme ; et il n’en est pas où les empiriques aient à ce point abusé des artifices dialectiques qu’ils reprochent aux métaphysiciens. La question est celle-ci : beaucoup d’hommes à certains moments, quelques hommes rares dans la plus grande partie de leur vie ne sont-ils pas disposés à jouir de la joie, à souffrir de la souffrance d’autrui avec une intensité telle qu’ils ne font même plus de retour conscient sur la joie que cet oubli leur donne ? On pourrait dire qu’ils sont, à l’égard de leurs joies, de leurs souffrances personnelles comme dans un état de véritable distraction. Ne peut-il arriver que ce besoin devienne dès lors plus fort que le besoin de vivre, plus fort que le besoin même de jouir ? M. Ribot déclare cela impossible, et comme beaucoup d’autres, cette proposition lui paraît très claire et obscurcie à plaisir par des volumes de métaphysique, que notre choix va toujours dans le sens du plus grand plaisir[2]. Mais il peut arriver cependant que le besoin de sacrifice soit tellement intense que l’individu y cède comme à une force ; et non comme à une promesse de plaisir, ou de douleur moins grande. C’est ce qu’avait d’ailleurs remarqué déjà Darwin, et l’on peut s’étonner que M. Ribot regarde le plaisir et la peine, expression, selon lui, superficielle de tendances plus profondes souvent inconscientes, comme les moteurs nécessaires de l’action humaine. Ce sont là des faits, semble-t-il, incontestables.
Or on peut se demander si une tendance qui peut devenir à ce point irrésistible est une acquisition artificielle de l’homme, résultat de la réflexion consciente, ou, au contraire, un instinct aussi naturel que l’instinct égoïste. On peut soutenir, il est vrai, que l’instinct altruiste se manifeste après l’autre (encore cela est-il contestable) ; mais — comme nous le remarquions déjà — cela seul est-il inné qui se manifeste dès la naissance ? Il est vrai encore que l’instinct altruiste se montre rarement, ne se montre peut-être jamais pur. Cependant quelques hommes le font voir « en grossissement » ; et c’est en eux qu’il le faut étudier. Et de plus l’instinct égoïste est-il souvent absolument pur ? L’utilitaire commet ici le même sophisme que Spinoza : de ce que tout être tend primitivement à être,