Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/561

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monde idéal est une différence que la pensée ne peut anéantir, parce que pour la pure pensée elle n’existe pas : que les vingt thalers existent ou non, l’idée de vingt thalers reste identique à elle-même. En accordant même que, partant de la nature de la pensée pure, abstraction faite de toute donnée sensible, nous soyons capables de reconstruire l’univers entier, cet univers resterait purement idéal, et ne deviendrait jamais le monde réel qui nous environne, puisque la différence entre ces deux mondes est telle que la pensée ne peut ni le saisir, ni par conséquent l’écarter. Et que l’on n’aille pas dire que ce sont les contradictions de la pensée qui la mettent en mouvement : car ces contradictions proviennent précisément de ce qu’elle est abstraite, empruntée à un tout concret que son mouvement peut seulement reproduire. Si la réalité n’était une caractéristique de ce tout, nul procès dialectique ne saurait atteindre la réalité.

Rien ne nous autorise à croire que Hégel n’ait pas reconnu cette impossibilité de passer de l’essence à l’existence ; au contraire, déclarer que la dialectique est une méthode analytique, autant que synthétique, c’est impliquer que la dialectique travaille à reproduire dans notre conscience explicite le tout qui y était implicitement contenu : l’existence de ce tout est le ressort du procès dialectique. Si donc le résultat atteint par la dialectique est doué d’une existence réelle, de même aussi la donnée dont le procès dialectique est une analyse doit être douée d’une existence réelle, et le raisonnement va non de l’essence à l’existence, auquel cas les conclusions dépasseraient les prémisses, mais de l’existence à l’existence.

C’est cette réalité, condition préalable du procès dialectique, qui nous permet de retrouver la preuve ontologique de l’existence de Dieu, convenablement interprétée. La critique dirigée par Kant contre cet argument reposait sur l’impossibilité d’affirmer la réalité en se fondant sur des arguments tirés seulement de la définition du sujet dont la réalité est en cause. Mais avant de prétendre que Hégel a franchi la distance qui sépare le prédicat de la substance, l’essence de l’existence, nous devons nous souvenir, selon sa recommandation, qu’en Dieu « nous avons un objet d’un autre genre que cent souverains, ou toute autre notion, ou fiction, particulière ». En quoi consiste cette nature spéciale de Dieu, il l’exprime ailleurs : « l’élan dialectique de l’esprit, signifie que l’être qui appartient au monde est seulement une apparence, non un être réel, non une vérité absolue ; il signifie qu’au delà et au-dessus de cet être appa-