Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/563

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Or Kant, qui, en travaillant à sa philosophie, se plaçait à un point de vue polémique, qui voulait l’établir contre la critique sceptique, devait naturellement être porté à mettre en relief le caractère transcendental de l’argumentation. Toute différente était la position de Hégel : il vivait dans un temps d’idéalisme, où le pur scepticisme de Hume avait cessé d’être une force, et où c’était une vérité généralement acceptée que la pensée étaite adéquate à la réalité. Dans ces circonstances, Hégel était naturellement porté à insister sur la face la plus frappante de son système, celle par laquelle il se séparait plus ou moins de ses contemporains, plutôt qu’à mettre en évidence le fondement commun de leurs systèmes. — De là son opposition à l’école intuitive, et l’énergie qu’il met à affirmer que nous ne pouvons connaître sans la médiation de la pensée, propres à dissimuler cette autre vérité que la médiation de la pensée doit toujours prendre pour base une donnée immédiate. — Voilà encore comment il appelle sa philosophie une philosophie absolue, au risque de laisser entendre par là, comme l’a entendu M. Seth, une philosophie qui « déduit ou construit toutes choses comme des nécessités de la pensée pure ». En réalité le mot « absolu » signifie simplement ici le rejet de la théorie kantienne selon laquelle il n’y a science que des phénomènes. Mais dire que les noumènes peuvent devenir objet de connaissance n’implique pas que des conclusions sur la réalité des choses puissent être déduites de la seule considération de la pensée pure.

C’est, de même, à l’antipathie naturelle de Hégel pour la forme polémique d’exposition, aux conditions dans lesquelles il prenait la parole, devant une assistance amie, qu’il faut attribuer la prédominance de l’aspect synthétique sur l’aspect analytique dans toute la dialectique. D’ailleurs, des philosophes idéalistes devaient surtout s’attacher à faire porter leurs critiques sur le plus ou moins de cohérence interne du système, sans en contester le droit à l’existence, car sur ce point ils n’avaient pas d’objections à soulever. Pour répondre à ces critiques, il devenait nécessaire d’insister sur le côté synthétique du procès dialectique, tandis que pour nous, qui presque toujours abordons la philosophie à un point de vue négatif, il semblerait plus naturel d’appuyer sur le fait que le procès dialectique est l’analyse de l’expérience concrète. Alors il deviendrait aisé de comprendre que, dans la dialectique, le plus simple dépend du plus complexe, que la réalité de la fin du procès dialectique est la condition du