Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/574

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hors de nous ? — ou bien ces choses ne paraissent-elles pas exister réellement unies ou coordonnées ainsi parce que, comme dit Kant, tels modes d’union ou telles formes sont inhérentes à notre esprit de telle manière que nous ne puissions rien concevoir que sous ces formes ou par elles ? La dernière opinion me paraît la plus vraisemblable ou du moins la plus facile à concevoir ; car je conçois très bien que si l’étendue, telle que je la perçois immédiatement par les sens de la vue ou du toucher (prédominants dans l’organisation humaine), est une forme de ces sens inhérente à leur nature, cette forme se répand sur toutes les choses représentées, quelles que soient ces choses, dont nous ne connaissons certainement que l’existence et dont la nature ou l’essence nous est parfaitement inconnue, tandis que nous ne concevons en aucune manière comment ces choses inconnues, ces éléments, forces ou monades, pourraient être coordonnées de manière à réaliser en elles-mêmes une étendue ou un espace absolu indépendant de nos conceptions.

Au reste, pour choisir entre les deux hypothèses, dont l’une part du dehors pour expliquer le dedans, et l’autre du dedans pour expliquer le dehors, on ne saurait se fonder sur une sorte de parallèle qu’on prétendrait établir entre elles et les hypothèses astronomiques et chimiques employées à rendre raison des phénomènes. Il y a plusieurs différences notables :

1° Les physiciens ou les astronomes admettent l’existence réelle de l’étendue naturelle ou de l’espace pénétrable ; et tout se borne pour eux à rendre compte de certaines apparences qu’offrent ces corps dans leurs mouvements relatifs. On conçoit très bien que le soleil et tous les astres se meuvent autour de la terre immobile, ou que la terre se meuve, etc. ; au contraire, quand il s’agit de savoir si les modes de coordination sont dans les noumènes ou dans notre esprit, on élève un doute sur la manière d’exister des corps et, dès que ce doute a lieu, on ne saurait fonder la certitude contraire sur aucune hypothèse, puisque l’hypothèse se fonde nécessairement elle-même sur l’existence et les formes nouménales qu’elle a pour objet de vérifier, et qu’elle part de là comme de données primitives absolues.

Les corps brûlent, dit Stahl, parce qu’il y a en eux un principe inflammable ; tous les corps brûlent, dit Lavoisier, parce qu’ils ont de l’affinité avec un principe inflammable qui est hors d’eux.

De même tout le monde dit et croit que nous percevons les objets étendus parce qu’il y a en eux une étendue réelle. Leibniz et Kant