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tente et du souvenir. Nous avons aussi le sentiment immédiat de la direction du cours de nos pensées dans le temps. Mais nous n’obtenons point encore ainsi la conception du temps, qui est postérieure. De celle-ci, de l’idée distincte du présent, du passé et du futur, il faut chercher le germe respectivement dans la représentation actuelle, dans le souvenir et dans l’attente. Outre une différence de clarté et d’intensité de la représentation, il y a encore entre la conscience du présent, l’image-attente et l’image-souvenir, une différence de sentiment : la première est caractérisée par un sentiment d’adaptation actuelle et réciproque entre le sujet et l’objet ; la seconde par un sentiment de besoin, une tendance, un désir ; la troisième par un sentiment de manque dont la nuance le distingue de celui qui accompagne l’image-attente. Mais si les représentations prennent ainsi pour l’esprit, surtout quand elles sont groupées en séries, des caractères distinctifs selon leur rapport au passé, au présent et à l’avenir, ces représentations, quoique se succédant en fait dans la conscience, ne se succèdent pas encore pour la conscience, mais lui apparaissent toujours comme simultanées. Pour que ce jeu d’images statiques et coexistantes donne le sentiment d’une succession, il faut faire intervenir comme facteur le sentiment immédiat de transition ou de changement dont il a été question plus haut. Ce sentiment est irréductible : nous en puisons la première expérience (et par là celle du temps et de la succession) dans l’appétit, mouvement vers ce qui n’est pas, mais peut être. Le temps est primitivement une forme de la distance, de l’éloignement, de la séparation (II, 95). La production de la perspective du temps dans la conscience dépend essentiellement du processus de l’appétit et par conséquent « c’est en définitive la volonté qui crée en nous le temps ». Toutefois M. Fouillée accorde dans la conception du temps une part à la contradiction logique et mécanique des représentations qui contribue pour lui, comme pour Taine, à créer l’opposition entre le présent et le passé.

Il résulte de cette théorie que si l’appétit enveloppe le temps, la représentation ne l’implique pas. La représentation du temps n’est pas une forme nécessaire de toute représentation. Non seulement M. Fouillée repousse cette affirmation kantienne, mais il fait une vigoureuse critique de la théorie de la forme a priori du temps chez les criticistes et les néo-criticistes. L’idée du temps a eu une influence considérable sur l’évolution en rendant possibles l’adaptation à l’avenir et l’adaptation au passé (imitation). L’évolution devient consciente d’elle-même, de son point de départ, de son stade actuel et de son point d’aboutissement : et cette conscience de l’évolution devient une condition de l’évolution même.

Il nous reste à étudier les principes directeurs de la connaissance qui sont éminemment des idées-forces. Quelle est leur origine, ou, ce qui revient au même, quelle est la genèse de notre structure intellectuelle ? Ni l’expérience ancestrale, ni la transmission des habitudes, ni la sélection naturelle basée sur d’heureuses déviations du type congénital ne fournissent ici une explication suffisante. Le dernier facteur même, la sélection naturelle, qui a dû cependant jouer un rôle important, n’est pas fondamental. En effet, les accidents heureux de la vie « impliquent la vie même avec ses tendances fondamentales ». Il faut placer l’origine physiologique de notre structure intellec-