Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/611

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de sa foi philosophique ou scientifique, de quel côté elle se trouve ? Constructions a posteriori et constructions a priori sont logées sous ce rapport à la même enseigne.

Ceci soit dit pour les positivistes de toute école qui verraient dans le caractère a priori de l’œuvre de M. Fouillée un vice rédhibitoire. Pour nous, le mot d’a priori n’a rien en soi d’effrayant ni de répréhensible, pas plus que la tendance, chez M. Fouillée, de la psychologie, tendance qu’elle accentuera sans doute de plus en plus, à se rendre indépendante des sciences objectives, et en particulier de la physiologie. Il affirme fréquemment cette proposition si juste que l’explication mécanique n’est pas l’explication profonde, que la vraie explication du mouvement lui-même est psychologique : « C’est le mouvement, lui, qui est un mode de représentation, grâce auquel nous nous figurons dans l’espace des actions et réactions qui par elles-mêmes peuvent et doivent n’avoir rien de spatial »[1]. De là à repousser l’intervention de la physiologie en psychologie il n’y a certes pas loin. On ne tardera pas à comprendre que donner, comme dans beaucoup de traités, d’un phénomène psychique, deux explications, l’une physiologique, l’autre psychologique, et surtout subordonner la seconde à la première est un procédé peu philosophique, que cette fameuse distinction des points de vue est artificielle et inutile, car en philosophie il ne peut y avoir qu’un seul point de vue, celui de la réalité, sans adjectif. M, Fouillée en maintenant la suprématie de l’explication psychologique n’aura pas peu contribué aux progrès de la psychologie. Il rendra un service analogue et non moins considérable aux psychologues qui voudront entendre sa parole, en les délivrant de ce qu’on peut appeler la fascination de l’objectif. Ce point est trop important pour que nous n’y insistions pas. Réfutant l’hypothèse de M. W. James que « peut-être tout ce qui est éprouvé par nous est, strictement parlant, objectif », il écrit : « Selon nous on ne peut admettre que tout soit strictement objectif. Il y a en premier lieu jusque dans la sensation quelque chose qui ne peut se convertir en objet, le plaisir et la peine. Essayez de vous représenter le plaisir comme un objet, vous reconnaîtrez que vous vous représentez toujours autre chose que le plaisir même ; ce seront des circonstances de lieu et de temps, une partie déterminée de votre corps où vous localisez le plaisir, un mouvement de molécules etc. Mais tout cela n’est pas le plaisir. D’autre part, oubliez tout cela, supprimez toute perception objective, vous n’en continuez pas moins de jouir ou de souffrir, quoiqu’il ne reste rien dans votre conscience qui puisse être conçu par la pensée ni exprimé comme objet par la parole. Tout n’est donc pas objectif dans la conscience[2]. » Il faut en dire autant de la souffrance : « La souffrance sera toujours en tant que telle du subjectif impossible à objectiver, qui même se détruit en s’objectivant. Il y a donc dans l’affection — qui est primordiale — un fond subjectif impossible à éliminer ou à représenter sous les formes de mouvements dans l’espace[3]. »

  1. I, p. xv. Voir aussi p. 46 et de nombreux passages.
  2. I, p. xxvi, vii.
  3. I, xxvii.