Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/614

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trouve affirmée chez M. Fouillée aboutit ainsi, quand on en tire les conséquences, à nier qu’il y ait une science du subjectif, la notion de l’idée-force qu’il oppose avec non moins de raison à l’intellectualisme et à l’épiphénoménisme conduit à des conclusions semblables sur la prétendue science de l’objectif. En effet, dans la théorie des idées-forces, toute idée (ce mot pris au sens de Descartes) et par conséquent toute connaissance est réellement une résultante de l’action de l’objet extérieur et de la réaction du vouloir-vivre inhérent au sujet. La connaissance n’est donc plus, comme dans l’intellectualisme, une appréhension pure et passive, en sa matière, de la réalité objective : étant en somme une action, elle est une création de quelque chose qui auparavant ne faisait pas encore partie de ce réel que l’on dit appréhendé dans la connaissance. Dès lors, comment la science est-elle possible, c’est-à-dire comment la pensée peut-elle être d’accord avec les objets ? La solution de la question, M. Fouillée la trouve dans le monisme : rien, en dehors de nous, n’est étranger à la pensée et à la volonté. La réponse est satisfaisante en ce qui concerne la forme de la connaissance, ses catégories et ses principes directeurs. Les objets extérieurs ayant pour essence, comme nous, une sourde volonté de vivre, ils prennent nécessairement les mêmes formes que la pensée humaine, puisque ces formes de la pensée humaine « ne sont que des fonctions de notre volonté primordiale et normale[1] ». Mais la matière de la connaissance ? « Ce qui est irréductible, dit M. Fouillée, à la seule action des objets externes, au seul mécanisme, c’est précisément ce que Kant nomme avec Platon et Aristote, la matière de la connaissance. Et si quelque chose mérite d’être appelé a priori comme indépendant de l’extérieur et propre au sujet conscient, c’est avant tout le sensible, le matériel de la connaissance… Nous retournons donc entièrement le point de vue de kantisme et du platonisme… où ils voient les données du dehors, nous voyons la part originale de sa conscience : c’est la matière, c’est la sensation[2]  ». Que devient ici l’accord de la pensée et de ses objets ? Les doctrines intellectualiste et sensualiste, en faisant de l’esprit une sorte d’appareil passivement représentatif ou enregistreur, s’en formaient, il est vrai, une conception « assez enfantine », mais elles avaient le mérite de rendre compte de la connaissance, selon l’idée que l’on s’en fait généralement : le dynamisme des idées-forces modifie profondément la conception de son caractère et de sa valeur. La sensation, la matière de la connaissance se présente ici comme quelque chose d’original, de sui generis, de nouveau par rapport à l’objet que l’on dit senti, perçu et qui n’est réellement que l’un des deux facteurs de cette indécomposable résultante, la sensation. Et ainsi il ne peut y avoir de vérité qu’une « vérité formelle », c’est-à-dire un accord entre les formes de la pensée et celles des êtres de l’univers : il y a accord entre la série des rapports des objets extérieurs et la série des rapports des idées — et encore cet accord n’est pas appréhendé, il est donné dans et par l’identité d’essence supposée entre l’univers et le sujet

  1. T. II, p. 210.
  2. T. I, p. 279, 280. (Cf. I, p. vii, 5, 274, 307, etc.)